On sait que l’aspe est un poisson rhéophile qui aime passer la majeure partie de son temps au cœur des courants dans lesquels il se déplace en effectuant des allers-retours entre un poste amont et un situé en aval sur une distance pouvant atteindre cinquante kilomètres journaliers afin de trouver le confort d’une zone oxygénée où la nourriture est abondante. Un comportement atypique qu’il perd dès lors que la température de l’eau descend en dessous des dix degrés à la fin de l’automne. Il se déplace alors comme tous ses cousins cyprinidés et la plupart des autres poissons et migre vers le lit profond de la rivière, en aval comme en amont, selon la proximité des zones de confort, pour se regrouper avec les autres poissons et passer l’hiver. Son activité diminue fortement, il ne se déplace plus autant et se nourrit moins que l’été. Quand les eaux se réchauffent, le cycle naturel de reproduction se déclenche, il faut pour cela une température comprise entre huit et onze degrés, ce qui est le cas bien plus tôt dans nos eaux que sur le bassin du Danube d’où l’aspe est originaire. Le processus de reproduction peut débuter dès la fin février sur le bassin de la Loire notamment.
Migration prénuptiale
Les poissons ayant atteint la maturité sexuelle entament alors une migration en amont vers la zone de fraie idéale la plus proche. Les mâles au corps fin et allongé, sont plus petits que les femelles qui sont aussi plus larges. Ils sont également plus nombreux et précèdent les femelles de quelques jours pour maximiser leurs chances de trouver une partenaire quand elles les rejoindront sur la zone de fraie. Ils peuvent parcourir jusqu’à cent cinquante kilomètres s’ils ne trouvent pas de zones propices avant.
L’eldorado français
L’aspe se plaît dans nos eaux et développe un fort potentiel colonisateur qui n’est pas uniquement lié à sa migration en vue de la reproduction. La diminution des populations de super prédateurs au profit des poissons blancs lui permet de profiter de niches vacantes et de trouver une nourriture abondante. Nos eaux plus chaudes favorisent sa croissance rapide et il peut atteindre sa maturité sexuelle dès la troisième année de vie, profitant de l’abondance des zones de frayères pour se reproduire. L’aspe répond à un schéma de migrations complexe, c’est le poisson le plus mobile de nos eaux, il a le champ libre et se déplace sur de très longues distances dépassant parfois les cent cinquante kilomètres. Seuls les seuils infranchissables ralentissent son expansion pendant un temps.
Reproduction et zone de fraie
L’aspe est un poisson lithophile, c’est-à-dire que la femelle pond sur des fonds pierreux avant que les œufs ne soient fécondés par les mâles. Ils devront ensuite être suffisamment oxygénés pendant l’incubation pour pouvoir éclore. C’est pourquoi les poissons se regroupent sur les grands radiers composés d’un substrat à granulométrie grossière. Quand les femelles rejoignent les mâles sur zone, les phases de ponte et de fécondation débutent. Durant cette période, les femelles produisent trente à soixante mille œufs par kilo corporel qu’elles éjectent par groupe et qui se dispersent au gré du courant quelques dizaines de secondes avant de se fixer au substrat tandis que les mâ les évoluent à leurs côtés et déversent le liquide spermatique qui assure la fécondation. Ces actions reproductrices ne sont p a s m en é e s à n’importe quel moment de la journée et respectent un schéma précis et propre à l’espèce. On constate un pic d’activité sur les frayères à la tombée de la nuit, les mâles sont à nouveau les premiers sur zone et sont rejoints par les femelles une fois la nuit tombée. Puis un second pic d’activité similaire mais de plus faible intensité est observé au lever du jour. Les études ont montré que les horaires de ces pics d’activité ne sont pas anodins et résultent d’une adaptation naturelle de l’espèce à féconder les œufs tout en espérant l’arrivée de nouvelles femelles retardataires, puis ils quittent la zone sans assurer de surveillance parentale sur la ponte et les larves.
Après la fraie
Tous les aspes ne redescendent pas en aval après la période de fraie, certains peuvent rester sur place si la zone apporte le confort et l’alimentation nécessaire. Leur activité alimentaire revient à la normale quelques jours plus tard. Ils cherchent à reprendre des forces et ciblent majoritairement les ablettes qui migrent à leur tour sur les zones de frayères. Ils se reproduisent de la même façon et sur le même type de poste, les ablettes n’auront donc pas été tranquilles bien longtemps et redeviennent la cible du cyprinidé carnassier prêt à faire feu.
Inversion prédateur/ proie
Il a été observé que les ablettes qui migrent vers des zones de fraie similaires aux aspes quelques semaines après eux, peuvent devenir prédatrices par opportunisme si elles arrivent lors du déversement des œufs par les aspes. La faible quantité de nourriture disponible à ce moment de l’année et la forte valeur nutritive qu’apportent les œufs en dérive sont une aubaine pour prendre des forces avant la reproduction. La proie devient un temps prédatrice même si l’impact est moindre sur la régulation de l’espèce.