Sujet polémique s’il en est, la fermeture de la pêche du brochet provoque de nombreux débats sur les réseaux sociaux notamment. Il faut dire que c’est une contrainte pour les pêcheurs aux leurres et à certains appâts carnés. Mise en place à l’origine pour protéger le brochet, cette réglementation limite de nombreux pratiquants dans la traque des autres poissons carnassiers. Ces derniers ont des périodes de fraie décalées et il ne serait pas dramatique de les capturer en cette fin d’hiver. Les sandres ne sont pas encore sur leur nid, ni les black-bass, qui sortent tout juste de leur torpeur hivernale. Quant aux silures, aspes et perches, ils ne bénéficient pas de protection particulière, mais leur pêche est beaucoup plus difficile sans les leurres et autres vifs de gros calibres !
Une fermeture utile ?
Le brochet doit-il être protégé ? Oui bien sûr ! À l’échelle européenne et mondiale, l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature, classe l’état de ses populations comme peu préoccupant alors qu’en France l’espèce a été jugée vulnérable depuis 2009. La destruction de parties de son habitat et zones de fraie ont provoqué localement des baisses de populations. Est-il plus facile à capturer pendant sa période de fraie, ce qui expliquerait la législation mise en place pour le protéger ? Non, pas vraiment. Le brochet ne défend pas un nid comme le sandre ou le black-bass. Il est admis qu’il se nourrit peu durant sa reproduction comme le précise Yvan Alfier, directeur de la fédération de pêche de la Nièvre. En revanche, les semaines suivant cette période peuvent inciter les grosses femelles à se refaire une santé et être plus gourmandes. Les poissons étant plus concentrés, sur des zones de faible profondeur, leur pêche pourrait alors être facilitée. Il serait simple de mettre en place des interdictions de pêche localisées assorties d’un no-kill obligatoire sur ces secteurs. La protection du brochet a donc un sens, mais est-il possible de pêcher tout de même les autres carnassiers à cette époque ?
Contourner la loi
Il existe plusieurs possibilités de contourner la loi pêche et son principe d’interdiction de la pêche au vif et au leurre à compter de fin janvier jusqu’à l’ouverture du brochet sur les eaux de seconde catégorie. La première est de faire classer un plan d’eau en grand lac intérieur afin qu’il dispose d’une réglementation spécifique propre. Ainsi, on pourra modifier les mailles, les quotas et les périodes de fermeture. La seconde, plus récente dans son application, est l’arrêté préfectoral autorisant, sous certaines conditions, la pêche du sandre au leurre durant la période de fermeture du brochet dans un périmètre restreint. Attention, cette seconde mesure par arrêté préfectoral ne concerne que le sandre, tout le reste de la réglementation s’applique en ce qui concerne la pêche du brochet et les tailles réglementaires.
L’arrêté préfectoral dérogatoire
En dehors du classement en grand lac intérieur, les préfets peuvent se référer à l’alinéa 2° du I de l’article R436-33 du Code de l’environnement pour autoriser la pêche du sandre au leurre ou au vif lors de la période de fermeture du brochet. Cet article stipule les dispositions suivantes :
Pendant la période d'interdiction spécifique de la pêche du brochet, la pêche au vif, au poisson mort ou artificiel et aux leurres susceptibles de capturer ce poisson de manière non accidentelle est interdite dans les eaux classées en 2e catégorie. Cette interdiction ne s'applique pas :
1° A la pêche du saumon dans les cours d'eau ou parties de cours d'eau classés comme cours d'eau à saumon ;
2° A certains cours d'eau, canaux et plans d'eau désignés par arrêté du préfet.
Pas les mêmes zones
La plupart du temps, ces mesures sont bien acceptées par les pêcheurs aux leurres qui peuvent s’adonner à leur loisir favori plus longtemps. En outre, les instances associatives y voient une présence plus régulière au bord et sur l’eau qui évite le braconnage discret. Néanmoins, certaines voix s’élèvent contre le fait de pouvoir piquer accidentellement un brochet, et bien qu’il soit obligatoire de le relâcher immédiatement, de risquer de le blesser gravement. Or, il apparaît que la très grande majorité des brochets en février et mars n’occupent pas le même espace que le sandre puisqu’ils se rapprochent des bordures pour frayer. À titre d’exemple, la fédération de la Nièvre a œuvré dans ce sens et depuis deux saisons déjà, l’arrêté préfectoral fixant les périodes d’ouverture de la pêche précise que celle du sandre peut continuer sur trois lacs du Morvan jusqu’à la date de l’ouverture de la truite. Pour pallier cette pression plus importante, des réserves temporaires de pêche, allant jusqu’à la moitié de la superficie de ces lacs, ont été instituées pour faciliter la fraie du sandre. Celles-ci sont en place jusqu’à mi-mai. On peut aussi se poser la question de pêcher le silure avec de gros vifs en pleine eau sur de grands milieux…
Les grands lacs intérieurs
C’est l’arrêté du 15 mars 2012 modifié par celui du 20 mars 2014 en application de l’article R 436-36 du Code de l’environnement qui fixe la liste des grands lacs intérieurs et de montagne pour lesquels peut être établie une réglementation spéciale de la pêche. 36 départements sont concernés pour plus d’une centaine de lacs mais seulement quelques-uns ont fait le choix d’une fermeture et d’une ouverture distincte du sandre et du brochet.
D'un département à l'autre
Reste que cette mesure par arrêté n’est pas pérenne et le préfet peut décider de revenir à la réglementation de base en fermant la pêche au vif et aux leurres fin janvier. Le classement en grand lac intérieur est plus intéressant sur ce sujet puisqu’il établit une certaine indépendance du plan d’eau vis-àvis de la loi pêche générale. Parmi les lacs les plus connus classés en grand lac intérieur, citons Vassivière, Vouglans, Villerest, Grangent, Naussac, Le der Chantecoq, Pierre-Percée, Rabodanges, le Bourget, Annecy, Sainte-Croix, Gérardmer entre autres. Certains de ces lacs ont des mesures de protection du sandre avec une date de fermeture en rapport avec sa reproduction, d’autres ouvrent la pêche des carnassiers toute l’année sans restriction ou avec une simple période de no-kill et des réserves de pêche.
Quels impacts sur le sandre ?
Les comparaisons et analyses faites par les instances fédérales concernant les densités de sandres ne montrent pas de baisse lorsque sa pêche est ouverte toute l’année, hormis sur les frayères, puisque la dynamique des populations de ce poisson suffirait à compenser les prélèvements. Si chute il y a, elle serait à imputer au milieu ou à un déséquilibre sachant qu’une espèce très abondante comme la carpe limite la quantité de sandres, ce qui est le cas sur le lac de Pannecière dans le Morvan comme le note la fédération de la Nièvre. D’autres facteurs limitent le développement de ce percidé ! Il a été prouvé que la présence importante de corbicules, filtrant l’eau et la rendant plus claire, favorise les herbiers amenant à une prédominance du brochet au détriment du sandre.
Droit : petit rappel historique
Il y a deux siècles, la pêche du brochet se clôturait à d’autres dates. Le premier texte évoquant des dates de fermeture de l’espèce remonte à 1897. Ce décret prévoyait une interruption printanière pour toutes les espèces, à l’exception des salmonidés. De mi-avril à mi-juin, la pêche du brochet était donc fermée, tout comme celles des autres espèces. Cependant le préfet avait, déjà à l’époque, la possibilité d’adapter les périodes d’interdiction (lesquelles ont migré, années après années grâce aux travaux scientifiques, vers celles que nous connaissons aujourd’hui). Les dates de fermeture actuelles ont été intégrées à la loi depuis 1984. Juste pour l’anecdote, la maille du brochet était de 14 centimètres en 1897 !
L'Aveyron, précurseur
Précurseur dans ce domaine, puisque la pêche du sandre est ouverte à toutes techniques depuis plus de 20 ans sur les cinq lacs du département et depuis quelques années sur l’ensemble de la seconde catégorie, la fédération de l’Aveyron est en pointe sur le sujet précise Elian Zulo, directeur de cette structure. Les pêcheurs sont très satisfaits de cette mesure prise par le préfet alors qu’aucun des lacs n’est classé en grand lac intérieur. Les populations de sandres se portent à merveille et le lac de Pareloup est une destination prisée des pêcheurs qui viennent de fort loin pour en profiter. Ici, pas de fermeture, mais des réserves temporaires sur des zones favorables à la reproduction. Dans le département voisin du Cantal, où sont implantés là aussi quelques grands lacs, la situation est quasi identique selon Romain Max, responsable technique, mais avec une période départementale de fermeture pour le sandre et des réser ves temporaires toute pêche sur cette période-là. Cette mesure est en place depuis une bonne quinzaine d’années et, là aussi, les pêcheurs en sont très satisfaits !
Incohérence et confusions pour le pêcheur
Pour autant dans la très grande majorité des eaux françaises, la pêche du sandre reste ouverte jusqu’à fin février, mais seulement aux vers ou avec des leurres aux formes spécifiques comme l’indique Remy Chassignol, responsable technique de la fédération de pêche de Saône-et-Loire. Des départements ont établi une liste de leurres souples dont l’usage serait autorisé lors de la période de fermeture. Mais cette liste varie d’un département à l’autre et n’est en fait qu’une interprétation des textes de lois. C’est un casse-tête pour le pêcheur voyageur ou parfois qui pratique sur des rivières ou fleuves limitrophes de deux départements. Une chose est sûre, le système de réserves temporaires sur les zones de frayères assorti d’une obligation de relâcher les espèces concernées à certaines périodes serait sûrement la solution permettant de maintenir la pêche au leurre ou au vif ouverte toute l’année sans nuire à nos chers carnassiers.
Chez nos voisins
En Irlande
« Dans la République d’Irlande, l’eau est divisée en deux catégories, précise Arnaud Brière, guide de pêche renommé. Les rivières classées “migrateur” (saumon, truite de mer) et le reste, classé “coarse fishing”. Dans la première, il y faut une licence et un permis la plupart du temps (certaines sont quand même libres d’accès) assujetti à une bague pour un éventuel prélèvement. Elle ferme généralement entre octobre et avril. Dans la seconde catégorie, qui nous intéresse, il y a peu de législations restrictives. Pas d’ouverture, ni de fermeture et pas de permis ni d’heure légale ! Il est possible de pêcher partout, sans permis, 24 h/24 h, 365 jours par an... Difficile de faire plus simple. Par contre, seules deux cannes sont autorisées en action de pêche, quelle que soit la technique. La pêche aux appâts vivants est interdite et le prélèvement limité à un poisson par jour et par pêcheur de moins de 50 cm. C’est une vraie maille inversée donc qui considère que tous les reproducteurs doivent être relâchés. Certains comtés (mais ils sont rares) imposent un permis pour le coarse fishing, mais il est de quelques euros pour trois semaines. Les fisheries board sont l’organisme central qui gère les pêches sportives et professionnelles. Ils effectuent de nombreux contrôles courtois, qui se limitent à vérifier que tu n’as pas de brochets dans le bateau, pas trop d’appâts et que tu portes le gilet de sauvetage. »
Aux Pays-Bas
« Il y a bien une fermeture de la pêche des carnassiers, reconnaît Ludovic Pinchède, mais qui est complètement différente de chez nous ! La fermeture générale est fixée de la fin du mois de mars jusqu’au dernier week-end de mai. La pêche des carnassiers reprend vraiment début juin dans les grands lacs. Le brochet n’est pas l’espèce phare là-bas et je n’ai pas l’impression que les autorités mettent en place un système de protection spécifique dédié à ce poisson. »
Fermeture des carnassiers : ce que VOUS en pensez
En novembre, vous avez été très nombreux à commenter sur Facebook notre sondage sur la fermeture des carnassiers. Voici une sélection de vos propositions et arguments pour faire évoluer la réglementation.
Titi Oz n’y va pas par quatre chemins : « C’est toute la gestion de la pêche en France qu’il faut changer : les mailles, les quotas, les fermetures. » Beaucoup comme Arnaud Fishing ou Phil Cux, pensent qu’il faut abandonner la fermeture du brochet, soulignant que ces poissons ne s’alimentent plus pendant la période de fraie. Mais ils ont d’autres arguments. « La fermeture génère une ouverture, qui est une kermesse invraisemblable sur certains plans d’eau avec des dizaines de pêcheurs qui débarquent de partout avec beaucoup de casse associée », ajoute Phil Cux. Lequel estime aussi que les pêcheurs au bord de l’eau l’hiver sont les meilleurs lanceurs d’alerte sur les pollutions et le braconnage. Notre super fan voit plus loin et veut mettre en réserve les zones de fraie des poissons qui nidifient, sandres et bass. Un discours auquel Julien Baiocchi, Alexis Dmtl, Jean-René Dennetière ou encore David Marie disent adhérer « à 100 % », tout comme Julien Passament qui rajouterait « le droit de pêche jusqu’à minuit pour profiter de la première heure de nuit souvent sympa pour le sandre ». La pêche de nuit revient d’ailleurs souvent sur le devant de la scène, cela mérite réflexion pour Pascal Boisneau et Franck Chastel par exemple.
Une fermeture plus longue
Le sujet de la période d’ouverture divise, certains militent au contraire pour un long repos biologique pour tous les poissons : « J’ai connu dans la Meuse la fermeture complète du dernier dimanche de janvier au deuxième samedi du mois de juin et c’était parfait », nous dit Patrick Louis. Pascal Viaud abonde : « Je suis pour une fermeture simple de la pêche qui comprendrait le brochet et le sandre (février à juin). Une ouverture non-stop profiterait en premier au business et après éventuellement aux pêcheurs. » Joël Marsaudon est aussi pour laisser le brochet et décaler l’ouverture avec celle du sandre, « à défaut de réussir à faire évoluer la mentalité de certains pêcheurs, des périodes de fermeture sont nécessaires ».
Du no-kill et des contrôles
Vous êtes nombreux à plébisciter les fenêtres de capture ou la maille inversée. « Il faut ajouter une réglementation sur la perche », rappelle aussi Lucas Saumuller ; « une maille nationale à 25 cm », abonde Eric Chevallier. D’autres idées plus difficiles à mettre en place sont mentionnées : « Chaque cours d’eau devrait avoir un parcours no-kill, instaurer des jachères tournantes par exemple », propose Julius Julius. Et quelques-uns d’entre vous avancent l’idée d’un carnet de capture annuel avec un quota de poissons à prélever ou même une réduction sur le prix de la carte de pêche pour ceux qui pratiquent le no-kill. Enfin, tout le monde s’accorde sur une chose : il faut plus de contrôles…