Les grosses boules de silures, observables notamment en hiver, dans lesquelles les individus se rassemblent les uns sur les autres, piquent la curiosité de tous les observateurs, qu’ils soient photographes subaquatiques, pêcheurs ou scientifiques. Lors d’une étude publiée en 2023 dans la revue internationale à comité de lecture Movement Ecology, Samuel Westrelin de l’Inrae Aix-Marseille et ses collègues scientifiques des laboratoires du CNRS, du centre de recherches sur la cognition animale, et du laboratoire évolution et diversité biologique, tous de l’université Paul-Sabatier Toulouse, nous livrent de nouvelles données, analyses et éléments de connaissances de ce comportement hivernal typique et encore si mystérieux du plus grand de nos poissons d’eau douce. C’est surprenant !
Un comportement pas si exclusif
Les agrégations d’individus de la même espèce en dehors des périodes de reproduction sont des phénomènes relativement courants chez les poissons, qu’ils soient marins ou d’eau douce. Il est possible de retrouver un tel comportement chez la carpe commune ou encore chez une autre espèce de grande longueur : l’esturgeon jaune (Acipenser fulvescens), le plus grand poisson d’eau douce du continent nord-américain. Les scientifiques ont déjà pointé du doigt de nombreux bénéfices à un tel comportement, surtout dans une période froide qui confronte les individus à de nombreux stress, dont la protection contre les prédateurs, l’augmentation de la probabilité de trouver une correspondance avec un partenaire efficient de reproduction et, encore plus particulièrement en hiver, l’augmentation de l’efficacité dans la quête de nourriture, la réduction de la dépense énergétique par amélioration du confort thermique et hydrodynamique et la centralisation à tout le groupe des informations pertinentes à la survie.
Utile en session hivernale
Des bénéfices dont les avantages dépassent largement les effets négatifs du comportement d’agrégation, comme le partage et la prolifération des parasites propres à l’espèce ou encore la compétition alimentaire au sein du groupe. Ce dernier est un paramètre bien connu à exploiter lors des pêches hivernales, où il est préférable de cibler des rassemblements ou des groupes de silures plutôt que des individus isolés, plus souvent en pleine torpeur et pas du tout mordeurs. D’un point de vue purement scientifique et spécifiquement pour le silure glane, une seule étude signale et investigue l’existence d’une agrégation répétée impliquant 15 à 44 individus toujours au même endroit d’un fleuve. Néanmoins, les mécanismes et les éléments déclencheurs de la formation et de la dislocation de ce phénomène de boule sont encore incompris.
Un biotope idéal
C’est pourquoi les auteurs de cette étude ont suivi les déplacements de 47 silures adultes ou subadultes à l’aide d’une technologie de télémétrie acoustique. L’étude s’est déroulée pendant quatre années au sein d’un lac clos du sud-est de la France de 104 hectares et de 3,8 mètres de profondeur en moyenne, avec des fosses pouvant aller jusqu’à 6 m de hauteur d’eau. Cet écosystème fait partie d’un espace naturel protégé et a été quadrillé, dans le cadre de ce protocole, de balises de réception afin de localiser en permanence tous les individus équipés d’un transpondeur acoustique.
Matériel et méthodes
L’inclusion d’un silure dans le protocole nécessitait sa capture. Afin de couvrir toutes les tailles d’individus, des pêches aux filets électriques et à la ligne ont été réalisées. C’est dans le cadre de ces dernières que j’ai eu l’opportunité de participer et d’observer de près la partie terrain de ce travail scientifique. Une expérience qui fut riche en connaissances et enseignements pour moi. Une fois capturés, les silures étaient placés sous anesthésie générale avant d’être équipés, au moyen d’une petite procédure chirurgicale, d’un transpondeur acoustique dans l’abdomen ainsi que d’une puce d’identification à proximité de leur nageoire dorsale. Une fois proprement suturés avec deux ou trois points et réveillé progressivement à la manière d’un patient en salle hospitalière, les poissons étaient remis en liberté. Cinquante silures ont été équipés et seul trois transpondeurs sont devenus complètement immobiles entre une et trois années après l’intervention. Dans ces cas, les individus ont été supposés morts ou sont parvenus à expulser le transpondeur. Les données issues de ces appareils n’ont bien évidemment pas été prises en compte dans les résultats de ce travail scientifique.
Tous réunis
Les déplacements de ces silures marqués et localisés en permanence ont donc été suivis pendant quatre ans (de 2017 à 2020) pendant que d’autres variables, comme les températures d’eau, étaient collectées chaque jour, voire plusieurs fois par jour. Un premier résultat confirme nos connaissances sur les comportements de l’espèce: des regroupements hivernaux de longue durée ont bien eu lieu systématiquement tous les hivers, globalement aux mêmes périodes et au même endroit du lac. Cette localisation n’était pas la plus profonde du plan d’eau, mais demeurait dans la moyenne de l’écosystème d’étude. Ce comportement d’agrégation, bien que commun à d’autres espèces, apparaît très fortement développé au sein de l’espèce Silurus glanis, puisque dans la présente expérience, c’est jusqu’à 100% des individus équipés de transpondeurs qui rejoignaient le regroupement hivernal, contre 23% reportés dans les études de l’esturgeon jaune et 70% pour la carpe commune.
Concurrence alimentaire amoindrie
De tels regroupements, d’une durée de 6 à 8 semaines, à plusieurs dizaines d’individus, devraient exacerber le niveau de concurrence alimentaire entre les poissons et développer une grande agressivité intercongénère. Néanmoins, cette concurrence pourrait être considérablement amortie en raison des très basse température d’eau qui apparaissent être un élément principal d’apparition de ces agrégations d’individus. En effet, un second résultat met en avant des corrélations entre la formation ou la stabilité de l’agrégation et les basses températures d’eau. Des températures dans lesquelles les silures, et notamment les plus petits sujets, ne se nourrissent que peu, voire pas. De plus, avec les années d’expérience de pêche, capturer un petit sujet très marqué par la morsure d’un plus grand congénère en hiver, à distance de la fraie, n’est pas si rare, ni même la collecte d’un petit silure dans la gueule ou l’estomac d’un plus grand.
Personnalité sociale différente ?
De manière intéressante, le travail de ces auteurs met en avant le rôle clé de certains individus dans la formation et le maintien de la boule de silures, avec des durées de présences croissantes chaque année au sein du regroupement. L’hypothèse sous-jacente est celle de caractères différents entre les silures, certains développant un pendant plus social tandis que d’autres opteraient clairement pour un comportement plus solitaire et indépendant. Mais, l’’étude n’a pas encore livré tous ses secrets, nous y reviendrons !
La science, un métier !
La recherche scientifique, c’est un métier, pas un hobby ! S’il faut 8 à 10 années d’études pour y parvenir, c’est que la nécessité d’en connaître et de maîtriser l’ensemble des paramètres éthiques, bibliographiques, méthodologiques et statistiques impératifs à l’émergence de résultats exploitables est obligatoire et fastidieuse. Je vous les ai épargnés en majorité ici. Ne vous lancez pas dans le prélèvement sauvage de poissons pour marquer vos captures et espérer en tirer quelques pseudo-enseignements. Vous n’entraîneriez que des mutilations inutiles sur vos poissons pour des collectes d’informations probablement sans aucune valeur scientifique au regard des covariables non maîtrisées et des puissances d’échantillons requises pour ce faire.