Après les rassemblements fascinants au mois de janvier, place ce mois-ci aux questions autour de l’espérance de vie et des ratios taille/âge et taille/poids de ce grand carnassier. L’année dernière, une équipe de scientifiques du département des sciences biologiques de l’environnement de l’université de Linnaeus, en Suède, publiait dans la revue Scientific Reports [Exceptional longevity in northern peripheral populations of Wels catfish (Silurus glanis) (2022) Kristofer Bergström, Oscar Nordahl, Peter Söderling, Per Koch-Schmidt, Tobias Borger, Petter Tibblin & Per Larsson] un travail sur ces paramètres auprès de populations de silures séjournant dans trois lacs les plus au nord de l’hémisphère connus pour abriter des silures.
Quid du centre de l'Europe ?
Le silure est une espèce qui s’acclimate d’autant plus rapidement que les eaux dans lesquelles elle évolue sont élevées, avec des températures optimales pour la reproduction et la croissance comprises entre 25 et 28°C. C’est donc dans les zones centrales européennes et l’Europe de l’Ouest que les conditions thermiques sont les meilleures. Plusieurs études antérieures démontrent que cinq à sept années de vie sont nécessaires aux silures pour atteindre 70 à 130 cm et devenir matures sexuellement. La croissance annuelle moyenne avant la maturité sexuelle est de 10 à 20 cm et diminue ensuite de 5 à 7 cm. Dans ces biotopes aux eaux plutôt chaudes, les estimations de longévité jusqu’aujourd’hui ne dépassent guère 30 années, avec un seul individu documenté dans la littérature scientifique ayant atteint l’âge de 33 ans. Ces études datent de plus de quinze ans pour la plupart et sont issues uniquement de biotopes aux températures d’eaux élevées en moyenne.
Différent au nord
En revanche, il n’existait pas, avant les travaux de cette équipe suédoise, de documentation sur l’espérance de vie et la croissance des silures dans des eaux plus froides. Cette étude présente donc de nombreux intérêts, comme celui de vérifier les effets des basses températures sur la capacité de croissance des silures, leur espérance de vie, et ainsi de comparer les données en fonction des caractéristiques des biotopes. Pour ces chercheurs, ces informations sont cruciales dans l’optique de protéger les populations et les habitats des silures des lacs nordiques que sont les lacs Baven, Möckeln et River Eman. La présence de ces populations de silures natives de ces lacs remonte à plus de 8 000 ans.
Une longue capagne d'étude
Pour étudier les taux et les trajectoires de croissance ainsi que la longévité de ces poissons, une campagne de capture, marquage et recapture a été menée pendant quinze ans. En totalité, ce sont 1 183 individus qui ont été capturés et marqués, mesurant entre 7 et 209 cm. Grâce à des efforts de pêche continus et respectueux, 162 individus ont été recapturés entre dix mois et dix ans après leur premier marquage. Premier résultat, plutôt contre-intuitif, il n’existe pas de différence significative dans le ratio taille/poids entre les silures des eaux du Nord et ceux des eaux plus chaudes de l’Europe centrale ! La température de l’eau ne semble donc pas être un paramètre discriminant des poids moyens des silures en fonction de leur taille.
Longévite accrue
Le second résultat marquant est une longévité jusqu’à quatre fois supérieure à celle des eaux plus chaudes. Ici, un individu de 200 cm présente un âge estimé d’environ 70 à 80 ans, ce qui dépasse considérablement l’âge observé pour atteindre une telle taille dans les eaux de l’Europe centrale (environ 15-20 ans). Par exemple, dans les eaux du rio Ebro en Espagne, il faut seize ans, en moyenne, à un silure pour atteindre la taille de 200 cm. Dans cette étude menée dans les eaux du nord de l’Europe, il a fallu 71 ans à un silure pour atteindre la taille de 209 cm. Par extension, la durée de vie moyenne d’un silure en Europe centrale est estimée à une quarantaine d’années, alors qu’elle pourrait atteindre un siècle dans les eaux froides du Nord.
Influente température
Le taux de croissance des silures ainsi que leur relation longueur/âge ne sont donc pas généralisables à toutes les régions de l’Europe. En diminuant l’échelle et en nous concentrant sur l’Hexagone, cette étude apporte des éléments de réponses aux différences observées par les pêcheurs de silures d’une région à l’autre. Des collègues des Ardennes s’interrogeaient il y a plus de dix ans sur les tailles modestes des captures dans leur tronçon de Meuse, tandis que les populations de silures étaient installées depuis plus de quinze ans. Ce laps de temps aurait dû permettre la capture régulière d’individus de plus de 190 cm, ce qui n’arrivait que très rarement. Ces pêcheurs capturaient régulièrement des spécimens de plus de 220 cm lorsqu’ils voyageaient dans les eaux du sud de la France. La technique de pêche ne semblait donc pas en cause. À notre fameuse question « Quel âge a un poisson de cette taille? », la première réponse qui s’impose est donc que cela dépend beaucoup de la rivière dans laquelle il a été capturé et plus particulièrement de ses températures moyennes annuelles. Cette étude prouve que l’espèce peut croître plus lentement et ses individus devenir beaucoup plus âgés dans les régions les plus froides.
Politiques nationales différentes
Sans nous voiler la face, les études scientifiques menées en France récemment ont plutôt été réalisées dans un dessein de limitation, voire de régulation du silure glane. En Suède, la situation est inverse ! Les auteurs de cette étude scientifique soulignent la fragilité de la pérennité de l’espèce au regard des conditions climatiques rudes et des menaces d’extinctions locales en cas de surpêche commerciale. À ce titre, ils recommandent le maintien de la fermeture des pêcheries de silure dans ces grands lacs froids.