Après les grands rassemblements de janvier et les silures centenaires suédois en février, place ce mois-ci aux spécificités comportementales des silures albinos, dont la sensibilité accrue au stress nous intéressera en tout premier plan.
L'albinisme, quésaco ?
L’albinisme oculocutané, dont les caractéristiques typiques sont un poisson blanc immaculé et des yeux aux pupilles rougeoyantes, est en réalité un handicap plus qu’un atout esthétique. Il est causé par une combinaison de mutations génétiques dites homozygotes récessives bloquant la synthèse de deux hormones : la tyrosine et la mélatonine. Chez l’homme, ces deux hormones sont aussi connues. Une carence en tyrosine peut entraîner une baisse d’énergie et de vitalité, de motivation, de sommeil agité et d’une hypersensibilité au stress. La mélatonine, quant à elle, est plus connue sous le pseudonyme « d’hormone du sommeil », et peut servir d’adjuvant thérapeutique dans la prise en charge de ce type de troubles.
Un handicap
Cette infirmité s’étend de façon sûre à des limitations physiologiques comme des déficiences visuelles. Les silures albinos présentent une acuité visuelle plus limitée et une perception visuelle des mouvements plus faible que ceux pigmentés. Cela peut conduire à une photophobie responsable là encore de niveaux de stress augmentés. En neurosciences, le stress est un ensemble de réponses de l’organisme face à des situations menaçantes (comme l’exposition d’un silure au milieu terrestre), imprévues et/ou nouvelles (privation soudaine du groupe social d’appartenance). Comparativement à leurs congénères pigmentés, les silures albinos présentent plusieurs caractéristiques hormonales et physiologiques qui pourraient les rendre plus vulnérables aux différents stress et peut-être moins enclins à apprécier la vie sociale. Pour explorer cette hypothèse, une équipe de recherche scientifique de République tchèque a réalisé une double expérience comportementale en laboratoire afin de comparer les réponses des silures albinos à ceux pigmentés.
Comparaison du stress
Dans une première expérience, extrêmement intéressante pour tout pêcheur soucieux du confort de sa capture temporaire, l’équipe scientifique eut pour but d’analyser la quantité de stress induite chez les silures par une exposition soudaine de courte durée à l’air libre dans un environnement terrestre. Ce protocole fut mené sur 20 silures albinos et 20 pigmentés toutes caractéristiques par ailleurs n’étant pas significativement différentes entre ces deux groupes. Plusieurs marqueurs de stress furent enregistrés puis étudiés comme des indices comportementaux observables de manière reproductible (fréquence ventilatoire, nombre de changements de position et de direction des individus, ratio entre leur temps d’activité et leur temps d’immobilité…), mais également des marqueurs hématologiques après avoir réalisé un prélèvement sanguin sur chaque individu au moment de le remettre dans son bassin en eau.
Des résultats plus élevés
Par rapport au groupe de silures pigmentés, les albinos montrent lors de la situation de stress une fréquence respiratoire plus élevée, des changements de direction plus importants et plus nombreux, mais un ratio temps d’activité/ temps d’immobilité comparable. Les analyses des prélèvements sanguins des albinos présentaient une glycémie plus élevée, et des taux de lactate et d’hémoglobine eux aussi significativement plus hauts que leurs congénères. Ces résultats, qu’ils soient issus de l’approche comportementale ou chimique sanguine, plaident à l’unisson pour une plus grande sensibilité des organismes albinos au stress.
Applications pratiques
Cette étude apporte pour la première fois à ma connaissance des preuves de l’hypersensibilité des silures albinos au stress. Lorsque l’on est l’heureux élu et que l’on goûte à l’euphorie indescriptible de voir percer une masse blanche éclatante à la surface de l’eau, il faut redoubler de vigilance! Malgré l’excitation, il faut garder la tête froide et se souvenir que cette singularité de la nature est encore plus fragile que nos prises habituelles. Pour limiter le stress de ce poisson, il faut limiter le temps de captivité, la durée des photos et les réaliser dans l’eau en toute saison. Si possible ne hissez pas un poisson albinos dans le bateau, sur la berge ou pire encore sur un quai.
Souvenirs de pêcheurs
Je me suis remémoré des soirées camarguaises, secteur bien connu pour abriter une belle concentration de silures albinos, durant lesquelles des passionnés narraient leurs anecdotes. Les plus aguerris, comptant plusieurs albinos dans leur carnet de capture, certifiaient qu’au style de combat, au comportement du poisson pendant la lutte, ils étaient en mesure de deviner avec une quasi-certitude l’arrivée d’un poisson blanc. À l’époque, j’étais dubitatif quant à une corrélation entre un ressenti en combat et le caractère dépigmenté… À la lumière de ces travaux scientifiques et notamment des différences dans les vitesses et le nombre de changements de direction en situation de stress entre les silures albinos et pigmentés, ces propos n’étaient peut-être pas aussi romancés que je le pensais il y a plus de 10 ans !
Une vie sociale
La seconde expérience eut pour but d’investiguer l’hypothèse d’une différence entre les silures pigmentés et albinos dans leur capacité olfactive au service de la communication sociale interindividus et la préférence pour la compagnie de congénères de la même espèce. Des silures albinos et pigmentés furent placés un par un dans un bac contenant deux flux d’eau permanents. Le premier flux contenait des marqueurs chimiques caractéristiques de la présence de silures, albinos ou non. Le second n’en comportait pas. De façon similaire, les deux catégories de poissons choisirent le premier courant, contenant des odeurs de congénères. Tout le monde semble donc vouloir cohabiter avec tout le monde, tant qu’il s’agit de silurus glanis ! Tenez-vous prêts.