Je dois dire que je suis resté choqué à l’idée de ne pas y avoir pensé moi-même. Ça m'a ramené à toutes ces contradictions avec lesquelles on vit en permanence, sans ne même plus y faire attention… Parcourir des centaines de kilomètres en bagnole pour rejoindre un coin d’air pur, acheter « tout en plastique » pour aller camper dans les bois, contribuer à vider les océans pour essayer d’attraper de plus grosses carpes… Ce genre de trucs quoi !
C’est malheureusement dans l’air du temps de vouloir toujours plus, alors que l’on en a toujours moins. Plus de désir, moins de ressources, plus de candidats et toujours moins de gagnants. On pourrait débattre sur la gestion de nos ressources, sur la répartition des richesses, sur les ultimatums déjà franchis, ou sur la simple notion de bon sens que l’on a clairement foutue aux chiottes en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Mais il parait que l’on paie déjà des gens pour cela.
Si on ramène ce non-sens (typiquement humain) à notre microcosme carpiste, on peut aisément constater que nous représentons un très haut niveau d'aberration lorsque l’on compare ce que l’on aime, ce que l’on défend et ce que l’on fait concrètement. Aujourd’hui nous allons parler des appâts mais beaucoup d’autres facettes de notre passe-temps sont malheureusement aussi sombres. Sans devoir forcément tout chambouler dans nos habitudes, quelques petites mises à jour pourraient peut-être apporter du « bon » sans forcément altérer nos « résultats ».
De nature un peu curieuse, et aimant relever des « défis à la con », je n’ai pas mis longtemps à sauter sur cette idée de faire marche arrière et de pêcher avec des appâts sans farines animales. Il n’était pas question pour autant de revenir à pêcher exclusivement à la graine. Je garde d'excellents souvenirs de toutes ces années à pratiquer ainsi, mais je me souviens aussi de nombreux déboires rencontrés en fonction des périodes de l’année et des populations de poissons blancs. Pourtant, quand elles sont bien utilisées, les graines sont redoutables. Si demain je revenais dans la situation, connue jadis, m'empêchant de rouler de grande quantité de bouillettes, elles seraient de nouveau mes armes de premier choix !
Or j’ai la chance d’avoir un ami qui possède un atelier de roulage de bouillettes et un large catalogue de farines en tout genre. Autrement dit un vrai magasin de jouets pour quiconque s'intéresserait, un tant soit peu, aux appâts. Je ne suis pas du tout expert en la matière mais j’ai eu la chance de croiser de vrais passionnés du sujet qui m’ont éclairé sur différents points ces dernières années. Si les farines animales ont un tel succès aujourd’hui, ce n’est évidemment pas pour rien. Les fishmeal faisaient déjà la différence en termes de sélection de gros poissons au début des années 90 et l’incorporation de ce type d'ingrédient à fort goût et fort taux de protéines à clairement fait passer certaines recettes d’un stade moyen à un niveau de bombe atomique. La société Déesse a construit sa réputation sur des recettes de qualité, contenant des taux de farines animales largement supérieur à la plupart des autres recettes présentes sur le marché. Pour faire partie de cette structure depuis 10 ans maintenant, je ne peux que valider l'efficacité sur le terrain de ce genre de composition. Quand on fait les comptes du nombre de « cochons » qui tombent tous les ans avec ces appâts, il faudrait presque une calculette !
Alors pourquoi se faire chier à essayer de pondre des recettes 100% végétales, quand on a accès à un catalogue aussi riche qu’efficace ? A cette question j’ai plusieurs réponses. La première est évidemment d’essayer d'alléger ma conscience. Il est vrai que la culture de masse des céréales à travers le monde n’est pas beaucoup plus propre que le ratissage des océans pour capturer les quelques poissons qu’il y reste, mais je m’en accommode un peu plus facilement aujourd’hui (question de densité de couverture sur les yeux évidemment). A ceci s’ajoute une grande dose de curiosité. Jouer à l’apprenti chimiste me faisait déjà marrer quand j’avais 12 ans et je vois bien que 20 ans plus tard, rien a changé. Enfin, se trouve cachée derrière tout çà, la satisfaction de prendre un poisson avec un appât que l’on a composé soit même. C’est une satisfaction personnelle assez addictive, vieille comme le monde.
Quand j’étais gosse, tous les papys du coin avaient leur petit ingrédient secret pour attraper plus de poisson que le voisin. C’était le décorum, le détail crucial propre à chaque « bon » pêcheur. Aujourd’hui, même si le marché déborde d’appâts en tout genre, le fond reste le même et tout le monde a, un jour ou l’autre, envie de personnaliser ses appâts d’une manière ou d’une autre. Personnellement je n’ai rien inventé, je pioche juste à droite et à gauche des ingrédients qui me plaisent et que je marie en fonction des saisons, tout en respectant la règle d’un bon équilibre entre lipides glucides et protéines.
On trouve des protéines dans beaucoup de composants autres que la viande. Les œufs évidemment, les produits lactiques, les céréales, les légumineuses et je ne parle pas de certains produits transformés offrant un taux protéique assez surprenant. Nous avons donc, techniquement, largement de quoi mettre de côté les farines de poisson et de viande. La question qu’on peut rapidement se poser est la suivante. Est-ce que ces apports protéiques peuvent remplacer les farines animales en ayant les mêmes effets sur les gros poissons ?
Je ne vais évidemment pas apporter une réponse catégorique, ce serait beaucoup trop prétentieux et très certainement inexact. En revanche je peux partager mon expérience. Il ne me semble pas avoir eu moins de résultats depuis que j’ai retiré les farines animales de mes recettes. Il ne me semble pas non plus que ça m'ait empêché d’attraper des gros poissons. En revanche la question demeure sur l’hypothèse que ces recettes « veggie » intéressent autant les gros poissons que leurs cousines carnées. La quantité de tests qu’il faudrait réaliser sur le terrain serait tout simplement ingérable sans jamais pouvoir être sûr à 100% d’être dans une démarche scientifique, car ce qui se passe sur une eau n’est jamais complétement dissociable d’autres paramètres comme la météo, la pression de pêche, l’aspect technique etc…
Personnellement, je me pose cette question mais la réponse ne m'intéresse guère. Je comprends cela dit que ce détail ait une place très importante dans la tête de beaucoup. La quête du gros poisson fait partie de l’histoire, reste à savoir quelle importance on veut donner à ce chapitre ! Aujourd'hui le poids moyen des carpes est deux fois supérieur à celui d’il y a 10 ans. Ce phénomène semble exponentiel et j’ai du mal à imaginer maintenant une éventuelle marche arrière serait possible. J’ai la chance de ne pas avoir beaucoup évolué sur ma définition d’un gros poisson. Il y a 20 ans un poisson de 15kg était un gros poisson, aujourd’hui rien a changé et je pense, j’espère, que demain ce gabarit de poisson m'impressionnera toujours autant.
La question de Franck était simple : est-il vraiment nécessaire de contribuer à vider les océans pour tenter de sélectionner des poissons plus gros, afin de satisfaire mon égo personnel ? Ma réponse est non, finalement je trouve que ma limite personnelle est atteinte à ce sujet. Par ailleurs je sais très bien qu’il demeure de nombreux points où je ne suis pas en accord entre ce que je pense et ce que je fais, mais le chemin ne s'arrête pas là. J’espère bien continuer à évoluer à contre sens dans cette course à la boulimie déraisonnée. Qui sait, un jour j’irais peut-être à nouveau à la pêche comme je le faisais étant gamin, en ramassant une poignée de vers de terre et en pêchant en direct sur les poissons observés sur l’instant… Il faut parfois savoir s’égarer pour retrouver le droit chemin et le goût des choses simples… Dommage que l’on ait déjà trop flingué la planète pour pouvoir se permettre de s’égarer encore un petit peu.
Ce texte sonnera certainement un peu pessimiste et moralisateur. Il l’est effectivement sur le premier point, mais absolument pas sur le deuxième, car chacun est libre de faire et de penser ce qu’il veut. J’invite juste chacun d’entre nous à se poser régulièrement des questions sur l’importance de chaque chose de notre quotidien. On a tous très vite tendance à devenir dépendant de choses futiles qui pourraient bien, un jour, nous amputer de choses qui le sont beaucoup moins. Comme je le ferais en vidant un ordinateur de vieux fichiers pour tenter de lui permettre de tourner un peu mieux, je supprime régulièrement des petits détails de ma vie qui finalement me ralentissent plus qu’ils ne m’aident à avancer. Aujourd’hui je m'intéresse à la conception de mes appâts, demain le sujet sera peut-être mon rayon d’action, qui sait ? Le monde est en perpétuelle évolution et ce n’est peut-être pas à lui d’évoluer avec nous mais plutôt à nous d’évoluer avec lui