Inutile de posséder des dizaines d’années d’expérience sur des destinations légendaires pour savoir que le comportement de la carpe est étroitement corrélé avec la température de l’eau. Trivialement, quand l’eau est froide, la carpe est peu mordeuse et lorsqu’elle se réchauffe, la carpe s’alimente davantage. Si l’eau a un effet direct sur l’attitude des carpes il en est de même pour nos appâts ! Moins évident à déceler, et pourtant bien véritable : nos appâts ne se comportement pas de façons identiques en eaux chaudes et en eaux froides. Plongeons dans les lignes qui suivent dans les coulisses d’analyses poussées réalisées en laboratoire pour comprendre comment un appât évolue en fonction de la température de l’eau. Avant d’aller plus loin, de quels appâts parlons-nous ? Nous allons principalement orienter nos propos vers la bouillette qui reste l’appât le plus complexe à s’approprier mais nous divaguerons occasionnellement sur l’attitude des graines et des liquides en fonction de la température de l’eau.
Comment lire les résultats
L’étude d’une bouillette peut être faite de deux façons : soit directement sur les berges, dans un environnement non contrôlé mais en situation réelle. Ou bien en laboratoire, dans un milieu parfaitement maîtrisé mais dans des conditions purement théoriques. Nous avons retenu ici la deuxième option car elle permet d’aboutir à des théories précises et c’est ensuite au pêcheur de l’adapter à son environnement personnel. La première option comporte, à nos yeux, un trop grand nombre d’inconnues qui perturbent l’analyse et brouillent les résultats ce qui justifie que nous l’ayons laissé de côté. Quoi qu’il arrive, la science invite à porter un jugement critique sur des résultats et c’est ce qui en fait sa force: il n’y a pas de vérité universelle mais simplement des conclusions qui sont tirées dans des conditions précises à ne pas oublier. C’est pour cette raison que j’insiste sur la nécessité de porter un jugement critique sur ces conclusions et de les adapter à votre pêche personnelle. Personnellement, je me sers surtout de la notion de « tendance » qui oriente globalement mes décisions et me guide vers la stratégie qui me paraît la plus pertinente à mettre en place.
Place aux résultats
Assez de théorie, allons droit aux résultats ! La bouillette a un temps de diffusion très différent en eaux froides et en eaux chaudes. Sans citer de marque particulière, on peut sans problème passer du simple au double en termes de temps de diffusion (voir graphiques) lorsque l’eau passe de 24 °C à 6 °C : il devient alors capital d’adapter ses bouillettes à la saison de pêche. La « diffusion des attractants » comme on l’entend dans le langage courant est le fruit de plusieurs phénomènes : solubilité, miscibilité et diffusion moléculaire. En bref, l’eau « arrache » des molécules à votre bouillette tels que des acides aminés ou des arômes pour ne citer que les plus évidents, c’est la solubilité. Parfois, l’eau est en mesure de s’agripper à ces molécules, on parle de miscibilité (à l’inverse de l’huile qui ne se mélange pas à l’eau). Et enfin, l’eau peut « traîner » ces molécules jusqu’aux organes sensoriels de la carpe, il s’agit ici de la diffusion moléculaire.
Chacun de ces phénomènes dépend de la température : tendanciellement, plus l’eau est chaude, plus elle est apte à « arracher » ces molécules et à les traîner sur de longues distances et ainsi à attiser l’appétit des carpes. Étant donné que l’eau chaude a le pouvoir « d’arracher » plus de molécules, le temps total de diffusion est rallongé à l’inverse de l’eau froide où la diffusion est moins intense mais souvent plus rapide. Pour donner quelques chiffres, une bouillette diffuse en moyenne 90% ses attractants en 35 heures dans une eau à 24°C alors qu’elle diffuse 90% de ses attractants en environ 15 heures dans une eau à 6°C ! Nous venons de voir jusqu’ici les grandes lignes de la diffusion mais cette science est riche et on peut en tirer parti pour optimiser notre amorçage. Il existe des produits qui « s’arrachent » facilement à l’instar de molécules très solubles telles que les sucres ou les alcools (que l’on trouve comme base de certains arômes). D’autres à l’inverse sont plus difficiles à extraire tels que les huiles qui sont peu solubles dans l’eau.
Sachant cela, on peut adapter son choix d’appât à la température de l’eau et à l’effet recherché de son amorçage. Si vous êtes en été et que l’eau passe les 20°C, misez davantage sur des liquides ou des recettes plus grasses si vous souhaitez travailler sur le long terme ou bien optez pour des liquides et des bouillettes comportant une belle quantité d’éléments hydrosolubles pour être très instantané : il n’y a pas de bonne solution, simplement des choix qui dépendent de votre situation de pêche. Au-delà de la diffusion, une bouillette se caractérise par son aptitude à maintenir une structure plus ou moins ferme durant sa phase d’immersion. Certains produits se fragilisent très rapidement alors que d’autres maintiennent une certaine structure durant de longues heures d’immersion : on les caractérise souvent de « résistants aux indésirables ». Nous avons vu précédemment que plus l’eau est chaude, plus elle « arrache » de molécules. Naturellement, cet « arrachage » est source de fragilisation et c’est pourquoi les appâts sont souvent plus fragiles en eau chaude qu’en eau froide car l’effet de l’eau y est plus intense. Un équilibre de compromis entre alors en jeu et la réflexion s’intensifie…
Zoomons dans la composition d'une bouillette
Allons encore plus loin, au travers des expériences réalisées en laboratoire, nous avons étudié l’effet de certains composés tels que des farines basiques, du birdfood, de l’huile ou du sel sur le comportement des appâts en fonction de la température. Grossièrement, chaque composé est influencé par la température et on peut intuiter le comportement d’une bouillette en fonction de la température suivant sa composition.
- Le blé : possède une influence à basse température, plus la proportion de blé augmente, plus le temps de diffusion chute.
- Le maïs : à basse température, plus la proportion de maïs augmente, plus le temps de diffusion augmente (c’est l’opposé du blé).
- Le soja : couplé à du birdfood, il accélère la diffusion en eau chaude et la freine en eau froide.
- Le birdfood : joue un rôle uniquement à basse température, plus sa proportion augmente plus le temps de diffusion augmente. On contredit ici une légende urbaine qui a la peau dure !
- L’effet de l’huile : freine la diffusion en eau froide. L’huile renforce la durabilité de l’appât en empêchant l’eau d’agir sur la structure.
Pour finir
Ces observations confirment l’idée que la température joue un rôle primordial sur le comportement d’un appât. Je vous invite, comme expliqué en introduction, à ne pas appliquer au mot près ces conclusions mais plutôt à les inscrire dans une démarche rationnelle et mesurée. Choisissez une recette pour l’eau « chaude » et une recette pour l’eau « froide » de façon à optimiser votre temps au bord de l’eau. Vous pouvez également employer ces résultats à des fins de conception pour vos propres recettes. Quoi qu’il en soit, le meilleur appât au mauvais endroit rapportera moins qu’un mauvais appât au bon endroit, mais au bout de plusieurs années de pêche, les bons appâts aux bons endroits rapporteront bien davantage de poissons que toute autre combinaison.