Lorsque nous n’avions pas encore d’échosondeur, ni de drone et encore moins de points GPS pour localiser les carpes, nous ne pouvions nous fier qu’à notre sens de l’eau. Aujourd’hui, on fait (trop ?) confiance à la technologie, aux algorithmes et aux logiciels en oubliant parfois que les carpes peuvent aussi être là où elles ne devraient pas. Voyons pourquoi.
Le thermotropisme
Ce facteur pousse les carpes et les poissons en général à aller vers les zones qui leur offrent une zone de confort thermique. Ni trop froid, ni trop chaud, c’est-à-dire au soleil l’hiver et sous les frondaisons l’été pour faire très simple. Ça devient un peu plus complexe dès lors que l’on parle de la thermocline et des différentes couches de températures d’eau. Cela pousse les poissons à être dans certaines profondeurs à tel ou tel moment de la journée. J’ai souvenir d’un lac où les carpes mordaient dans 15 m d’eau. C’est à peu près sûr que si on avait vu des poissons se balader dans 2 m d’eau au drone (que je n’ai pas) ou dans 5 m à l’écho, on n’aurait pas pêché dans 15 m et plus. Il est souvent intéressant de déposer ses montages dans des profondeurs différentes pour trouver, à tâtons, la zone où elles se nourrissent.
Le trophotropisme
C’est l’attrait pour les zones propices à l’alimentation. On peut évidemment parler de l’amorçage qui conditionne les carpes à venir sur une zone de nourrissage artificielle, mais il faut aussi être conscient que les carpes n’attendent pas après nos bouillettes. Si la nourriture naturelle est riche, faites comme les carpes et cherchez les herbiers tels que les potamots et roselières (gastéropodes divers…), les zones rocheuses ou les souches (écrevisses…), sableuses (corbicules…), vaseuses (vers de vase), les bois morts immergés sur lesquels s’accrochent des dreissenes (moules), les cassures… On se demande souvent s’il vaut mieux pêcher les zones dures (graviers) ou molles (de vase)? Il n’y a pas d’autre réponse que celle déjà faite: pêchez les zones où elles se nourrissent. Dans les gravières, elles se nourrissent plus de crustacés et mollusques alors que dans les étangs, elles mangent beaucoup de vers de vase. Sachez qu’elles ont une mémoire spatiale et s’il y a une tache de vase dans une gravière, elles le sauront, ou un éboulis de pierre dans un vieil étang ou dans un lac. D’où l’intérêt de bien sonder et de ressentir le fond, soit avec une perche depuis un bateau, soit avec de la tresse et un plomb depuis le bord.
Le branchiotropisme
Cette recherche d’eau oxygénée est liée au thermotropisme. Plus la température de l’eau est élevée, moins il y a d’oxygène dissout. Or l’oxygène est un facteur important pour le métabolisme des poissons, même si les carpes sont relativement tolérantes. On comprend mieux l’influence de tout ce qui peut venir brasser l’eau, en particulier le vent et augmenter ainsi l’oxygénation. Le vent mélange l’air et l’eau de surface et pousse ainsi une eau plus oxygénée vers la berge battue. De plus, il remet en suspension de la nourriture. L’oxygène dissous provient également de la photosynthèse des plantes. Dans les zones peu profondes, la lumière permet aux herbiers de pousser et de jouer, en journée, leur rôle d’aérateur. Les poissons y trouvent donc de l’oxygène, de la nourriture et un couvert. Il en est de même des précipitations d’été qui oxygènent et rafraîchissent l’eau et du brassage mécanique en aval des chaussées.
Savant mélange
Ces tropismes se combinent les uns aux autres et l’un peut prendre le pas sur l’autre. La carpe cherche une zone plus oxygénée dans le courant l’été, mais se dirige vers une zone plus calme l’hiver pour se mettre à l’abri de la violence d’une crue. Elle pourra tout aussi bien aller chercher sa nourriture dans une eau plus froide, plus chaude ou plus ou moins oxygénée. À l’approche du frai, les carpes se rassemblent vers les zones moins profondes sans se soucier du reste. Ça ne veut pas dire qu’elles ne mangent plus, au contraire. Elles ont besoin de s’alimenter pour refaire de la masse et produire leurs œufs et ne frayent pas toutes au même moment. Certaines moins précoces continuent de se nourrir un peu à l’écart. Après les ébats, elles se remettront à table rapidement. On peut se poser la question de savoir si c’est éthique ou non de les pêcher à cette période! Sans entrer dans ce débat, ce qu’il faut éviter, c’est de garder les grosses femelles gonflées d’œufs trop longtemps sur le matelas de réception ou dans des sacs de conservation et les remettre à l’eau le plus vite possible.
Le pêcheur
Un autre tropisme peut redistribuer les cartes : l’influence de l’homme et notamment des pêcheurs. Les carpes, comme d’autres poissons, développent une mémoire associative. À force d’être capturées, elles peuvent associer une zone, un arôme, une couleur ou les vibrations des fils ou de l’hélice du bateau amorceur ou du moteur électrique à un potentiel danger. Encore une fois, ce n’est pas aussi binaire, cela dépend même des individus, certains poissons se faisant capturer très régulièrement, d’autres jamais ou presque. Aussi, une zone qui présente toutes les qualités d’un bon poste peut être improductive si elle est trop fréquentée par des carpistes et inversement.