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Vivre l'instant : une session mémorable de pêche de la carpe avec mes enfants

Ces lignes sont nées au bord de l’eau, un peu sans m’en apercevoir. Il est vrai que j’affectionne le matériel et qu’en session je ne manque normalement de rien, sauf quand j’oublie ! En avril 2019 j’avais minutieusement préparé avec mon fils Paul une partie de pêche entre mecs. Tout était au carré : appâts, ravitaillement, tentes, cannes, montages, habits, jeux… Et bien sûr, même si rien ne se passa comme prévu, nous avons vécu une session à la fois simple et ô combien extraordinaire, comme peuvent l’être ces moments privilégiés entre un père et son fils.

14 heures : Paul est au taquet! Il est chaud bouillant! Il aime la pêche, mais il aime surtout être dehors et camper avec papa… Je voulais allier les deux et lui faire vivre une session simple et poissonneuse autant que possible. Mes amis Vincent et Mathieu m’ont très gentiment indiqué un petit lac paradisiaque où nagent quelques beaux poissons, le tout sous le soleil du Sud…

En route vers l'aventure

Après quelques bouchons routiers et des trombes d’eau, nous arrivons en campagne où les lacs d’irrigation sont rois. Je connais ce lac mais je n’y ai jamais trempé les lignes. C’est une première pour moi au niveau halieutique. J’ai les informations qu’il faut et tout le matériel adéquat… Notamment mon bateau amorceur et son écho-GPS couleur ! Le lac est beau et situé dans un joli bas-fond en plein milieu des champs. Il existe un simple et direct et un accès plus rocambolesque par les chemins d’exploitation.

Paul avec sa carpe.
Crédit photo : Jean-François Malange

Improvisations !?

Mathieu ayant pris l’heureuse initiative d’amorcer par deux fois avec des billes Karp One au monster Crab et sachant que la tranquillité attire les carpes, je décide de descendre par les champs et le chemin détrempé, malgré l’inquiétude de Paul. Au pire nous irons demander poliment de l’aide aux agriculteurs du coin. Nous allons de surprise en surprise. La première, en arrivant sur le poste convoité, est la découverte d’une petite cabane destinée à abriter du matériel de pompage. Ni une ni deux, pour gagner du temps je propose de squatter sagement cet abri providentiel ! Nous déballons le matériel et là, deuxième surprise : le bateau amorceur ne démarre pas à cause d’un interrupteur fatigué ! J’ai beau insister, monter, démonter, remonter, bricoler, rien n’y fait… C’est la grosse déconvenue. Paul est un peu déçu mais, dans un élan passionné et entraînant, je lui affirme qu’on va réussir à pêcher quand même. Il placera tout seul sa canne et je ferai le commis pour l’amorçage. Nous avons 4 cannes et je connais plutôt bien les lacs d’irrigation et leur topographie générale. Une canne en bordure, une autre devant un bel arbre immergé, une autre sur la pente d’une île. On pêche « à l’ancienne » mais avec le cœur ! 

Un plus petit poisson mais le sourire est toujours là !
Crédit photo : Jean-François Malange

Au pays des carpes enchantées

Paul choisit son montage, ses appâts et je le vois aller repérer seul vers la droite du poste sous un saule un peu excentré… Il y a là une belle rupture de pente et il a le nez creux. En sondant minutieusement à la canne on s’aperçoit que le substrat est nettement plus dur à quelques mètres du bord… Ce sera notre canne pirate. On pose le montage et on amorce copieusement avec des microbilles de 12 mm. Il a choisi d’escher une bille « the cube » de chez NB, au parfum carné épicé (CSP gamme ultimate +). Tout est prêt : ça pêche ! Nous passons à la meilleure partie : repas et délires en tous genres… Tout se passe bien, la pluie est là mais on est bien et dans notre pêche. Vers 22 heures, à peine couchés un tout droit de folie nous sort des duvets! Je prends la canne car c’est celle des obstacles. Paul est content et le poisson semble sympathique. C’est une miroir dodue, d’une douzaine de kilos, qui est prisonnière dans l’épuisette. La pêche est faite. Je suis ravi et Paul super content. C’est simple, un peu cliché, mais c’est si bon. On se sent vivants ! On aura trois autres touches réparties sur deux cannes (obstacle et bordure) : une autre miroir dans la dizaine, une grosse brème et une décroche. Franchement, au moment de prendre le café du matin, je suis sur un petit nuage. Je sais qu’il y a quelques blocs qui nagent ici, mais réaliser le hold-up parfait me paraît peu probable. Entre le petit-déjeuner, les photos, les jeux, la matinée se passe rapidement.

Apprendre les bases, voici un bon vieux fil soluble !
Crédit photo : Jean-François Malange

"Papa !!!! J'en ai une grosse !!!"

Un peu avant midi, je vais marcher, faire le tour du lac et vérifier l’état des chemins. Ce qui devait arriver arriva… Après 30 minutes de balade, j’entends mon cher garçon crier à l’aide : il y a visiblement eu un départ sur sa canne… Lorsque j’arrive, un sentiment de fierté m’envahit. Il a géré le début du combat tout seul et la carpe est en train de rendre les armes. Je prends l’épuisette et attends la belle. Au premier coup d’œil je repère un très beau poisson ! C’est une miroir de près de 15 plombes qui gît au fond du filet. Paul et moi exultons: nous vivons un moment à la fois très commun mais si intense ! C’est absolument génial ! Après quelques minutes au sac, pour que la belle se repose, nous immortalisons ces instants magiques !

Le plaisir de transmettre.
Crédit photo : Jean-François Malange

Apothéose

En moins de 24 heures la session était faite et nous avions encore une nuit et une matinée de pêche. Nous replaçons à l’identique les trois cannes productives et déplaçons la quatrième qui est restée muette… Paul est trop fier de « sa » carpe qu’il a prise tout seul. La dernière nuit tombe et c’est à minuit pile qu’un départ de l’espace a lieu, de nouveau sur la canne de Paul ! Mon bonhomme est tellement cuit qu’il ne se lève pas. Au bout de 10 minutes de combat, je commence à me demander ce que nous avons attelé. Après quelques galères c’est un des mammouths du lac qui est vaincu. Je suis moi aussi sur un nuage ! Je mets la belle en sécurité et replace tout! Ce sera la dernière touche, mais quelle touche! Le lendemain les yeux émerveillés de mon fils aîné sont la plus belle des récompenses, loin du peson, de la pression et des soucis du quotidien ! Une session extraordinaire à mes yeux, peut-être la plus belle de ma vie de pêcheur: le partage de moments simples et vrais avec mon grand garçon !

Papa, c’est trop lourd.
Crédit photo : Jean-François Malange

Philosophie de vie : lâcher prise et tourner la page

Loin des lacs surpêchés, les lacs d’irrigation permettent de se ressourcer et de retrouver ce qui a fait naître notre passion et qui en constitue l’essence même : une forme de communion avec la nature et avec les êtres qu’on aime. Cet état d’esprit est parfaitement illustré par une expression que les pêcheurs à la ligne anglais employaient dès le xve siècle : « Piscator non solum piscatur » (« La pêche, c’est beaucoup plus qu’attraper le poisson »). Elle traduit l’idée selon laquelle les pêcheurs à la ligne associaient étroitement leur pratique à un ensemble de grandes expériences vécues avec la nature, dans la droite ligne des idées et de la philosophie d’Isaac Walton, le « Père des pêcheurs à la ligne ». Les lacs d’irrigation et leurs carpes permettent une incarnation bien vivante de ces principes théoriques, incarnation vitale pour tous ceux qui veulent vivre leur passion à jamais. Cette session de pêche a été en partie libératoire et éclairante : loin de la technologie et du matériel à outrance, nous avons pêché et réussi simplement et modestement! Sans bateau amorceur, au milieu de nulle part, nous avons vécu des moments qui n’ont pas de prix. À la pêche, comme dans la vie, savoir se détacher et lâcher prise sont des choses essentielles. Mon grand Paul, du haut de ses 10 ans, me l’a fait clairement comprendre. Lâcher prise c’est cesser de faire le procès de la vie qui ne nous donne pas ce que nous en attendions… À partir du moment où l’on peut lâcher prise, où l’on ne désire plus être heureux à tout prix, on découvre que le bonheur c’est cette capacité de garder les mains ouvertes plutôt que de les laisser agrippées sur ce que nous croyons indispensable… Dans la vie comme à la pêche, ma ligne est désormais celle-là pour me sentir le plus vivant possible ! Et ça marche !!!

Un homme heureux !
Crédit photo : Jean-François Malange

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