On distingue environ 75 espèces de jussies dans le monde entier, leur nom scientifique global répond à Ludwigia. En France, on en retrouve plus particulièrement deux espèces, la jussie rampante et la jussie à grandes fleurs. Ces deux variétés se ressemblent et possèdent la même faculté de propagation. Ces plantes aquatiques proviennent d’Amérique du Sud et leur introduction sur notre territoire date du premier quart du XIXe siècle. Le but de leur importation était de les insérer dans différents bassins d’ornement ainsi que dans certains grands aquariums pour leur côté esthétique. Dotées de longues tiges pouvant aller jusqu’à six mètres de la racine à la pointe et pourvues de nombreuses tiges annexes terminées par des fleurs jaune clair, cette plante a tout pour plaire. Son côté envahissant vient de son volume et de sa capacité à se réimplanter très rapidement. En effet, une simple bouture liée à un arrachement peut rapidement reprendre place et proliférer à une vitesse incroyable. Éradiquer Ludwigia est quasi impossible au vu de ses incroyables pouvoirs de régénération et de multiplication. Des essais d’assèchement et d’embrasement ont été effectués sur des étangs de Brenne sans grand succès. La jussie est tenace, une vraie dure à cuire ! Elle a plutôt tendance à se plaire sur les eaux dormantes, mais elle parvient à s’adapter sur les différentes rivières de l’Hexagone. Elle devient problématique sur les eaux closes, les canaux, les marais et les rivières très lents, car le courant faible ou inexistant ne lui impose pas de limites d’extension. Ses longues tiges s’étalent dans toute la colonne d’eau, de la surface jusqu’au fond, et ce, jusqu’à un maximum d’environ trois mètres de hauteur. Il en ressort une densité et un rapport poids/volume incroyable qui ne laisse plus de place à la faune et à la flore aquatique, d’où son classement invasif. Dans le cas de nos rivières et fleuves à courant soutenu, voire fort, la jussie possède un rôle plutôt bénéfique, car elle ne parvient pas à proliférer aussi facilement que sur les eaux plus calmes.
Ses points forts en eau vive
Comme toutes les espèces botaniques aquatiques, la jussie possède des qualités indéniables pour les différents habitants évoluant dans le même biotope. Sur les eaux à fort courant, elle a tendance à casser ce dernier, laissant place à des renfoncements. Ces lieux calmes sont bien plus faciles à pêcher, car ils ne sont pas soumis à la poussée de l’eau. Ces zones lentes sont très appréciées par les poissons qui y trouvent un peu de quiétude. La capacité de réchauffement de la jussie est très au-dessus des autres plantes aquatiques, car sa masse volumique est très dense. Il suffit de se promener les guibolles à l’air dans un tas de Ludwigia pour se rendre compte de son incroyable pouvoir de réchauffement bien supérieur aux autres herbiers connus. Au printemps, les carpes adorent s’y blottir en journée pour profiter de la chaleur qu’elle émane. La densité de cette plante est aussi un atout pour les carpes lors des crues. Je vois de plus en plus de poissons s’y réfugier lorsque la rivière est colérique ; elle agit comme un bouclier protecteur face à tous les objets dérivants et sert donc de barricade aux différents poissons. L’ombre apportée par les tiges terminales est souvent très appréciée, car c’est un vrai parasol aquatique de surface et les tiges s’étalent souvent plus loin que celles placées au fond ou entre deux eaux. En théorie, plus l’herbier est dense et plus il peut accueillir de faune. C’est bien entendu le cas de cette plante. Il suffit de retourner quelques tiges et de tâter le substrat qu’elle couvre pour se rendre compte qu’elle est gorgée de nombreux insectes (gammares, larves…) et gastéropodes (limnées, planorbes, escargots tigrés…), sans même parler de tous les différents organismes parfois invisibles à l’œil nu consommés par les poissons (phytoplancton, microplancton…). Toutes ces sources de nourriture attirent différentes espèces à dominante aquatique. Ludwigia est clairement le royaume des grenouilles. Tout pêcheur sensible à son environnement périphérique se laissera bercer par leurs coassements nocturnes. Les grenouilles attirent des prédateurs comme les oiseaux, les couleuvres, les renards, putois, blaireaux… Croyez-moi, la nuit dans les jussies, il y a de la vie ! Les différents gibiers adorent eux aussi s’y blottir une fois la nuit venue et il est facile de repérer les traces laissées par les sangliers ou les chevreuils. Le remue-ménage qu’ils exercent dans les tas de jussie libère aussi énormément de nourriture pour les poissons. Les différents animaux de la forêt ne sont pas les seuls à se prélasser dans cette grande plante puisque celle-ci est un excellent support de frai : les carpes et autres poissons lâchent leurs œufs sur les tiges et les feuilles tendres de Ludwigia. Le frai est donc lui aussi sécuritaire (comme souvent dans les herbiers et les algues), parce que ce support n’est pas abrasif. Les carpes n’iront pas se déchirer le cuir et les nageoires sur des supports plus durs, comme les ronciers ou les branches. Pour résumer, la jussie apporte tout ce dont un poisson peut rechercher aux différentes périodes de l’année, le gîte et le couvert. Pêcher en périphérie ou en terminaison de ces herbiers est souvent synonyme de réussite, si l’on a bien étudié sa pêche.
Comment pêcher près de la jussie ?
Bien entendu, la pêche se fait au ras des jussies, en passant par-dessus ces dernières dans l’idée qu’à la touche la carpe fuit la pression exercée par le frein. Ce n’est donc pas très sorcier si l’on respecte quelques paramètres. Pour commencer, il faut se mettre en tête que, quoi qu’on en pense, elles regorgent de poissons et de tout ce qu’il leur est nécessaire, comme évoqué précédemment. Idéalement, il faudra éviter les zones trop profondes, car l’épaisseur des jussies peut jouer en notre défaveur. Si une carpe se bloque dedans, elle est clairement insortable à la canne. Il faudra aller la chercher pour la déloger du merdier! J’ai même l’exemple récent et concret d’une commune métrée bien torpillée qui, par l’action de plusieurs allers-retours latéraux dans un tas de Ludwigia, m’avait créé des fagots semblables aux haricots verts entourés de leur tranche de lard si prisés lors des mariages. Les haricots verts étant des blocs de jussies et la feuille de lard ma tête de ligne en gros Nylon. Il a fallu détricoter et déchirer les éléments herbeux pendant plusieurs longues minutes pour parvenir à reprendre contact et épuiser cette carpe hystérique. Cet exemple suffit à comprendre pourquoi il est important de pêcher de faibles profondeurs afin de gérer au mieux les inconvénients liés à la densité de Ludwigia. J’attaque systématiquement des zones en pente douce, qui sont comprises entre 40 cm et 120 cm de profondeur d’eau. Cette plage de hauteurs permet aisément de gérer toute situation qui se compliquerait, de jour comme de nuit, car nous avons pied et nous sommes à hauteur pour pallier toute situation. Penser que notre tresse fendra les tiges de cette plante est une hérésie. Il est préférable d’avoir une tête de ligne souple en gros Nylon qui amortira les coups de bourre des carpes, car elles ont tendance à se gaufrer dans les jussies au départ ou juste après le contact. Il faudra ensuite aller à la rencontre du poisson et libérer doucement la bannière de sa prison verte. Attention, une fois le contact retrouvé avec la carpe, elle va péter une pile et s’enfuir où elle le pourra : frein doux de rigueur ! Le lest idéal restera un caillou détachable à la touche, mais pour les pêcheurs amoureux du plomb (qui risquent d’être tristes dans les années à venir, car le plomb pourrait être remplacé par des substituts moins polluants), des modèles bombe ou trilobe sortiront plus facilement des herbiers.
Une pêche très sécuritaire
Je profite de cet intertitre pour me lâcher sur un point de vue personnel. Je vois de plus en plus fleurir sur les réseaux sociaux des pêcheurs très fiers d’avoir extirpé une carpe d’un arbre immergé après avoir bourriné comme un cochon sur ce même poisson. Mais combien en avez-vous perdus en laisse dans ces mêmes obstacles avant d’en sortir une ? Certains carpistes ne font pas mieux, car ils pêchent dans les obstacles boisés, sans aucune marge de manœuvre et vont chercher le poisson à la touche au cœur de l’arbre immergé, le laissant volontairement galérer dedans. Les nombreuses vidéos sur la toile en attestent, mais où est l’éthique dans tout ça ? Les seules approches sécuritaires à ma connaissance, pour pêcher à proximité d’un arbre immergé, sont le téléphérique avec angle fermé, que j’ai décrite dans le Média Carpe numéro 164; ainsi que la pêche en relais à la bouée lestée qui empêche le poisson de rejoindre l’obstacle. Pour en revenir à la pêche dans les jussies, leur mollesse autorise beaucoup plus de largesse que dans des obstacles durs. On peut se permettre de ne pas trop serrer le frein, car les carpes ont tendance à se planter rapidement dedans une fois la pression exercée sur le blank. Comme déjà dit, il faudra ensuite aller à leur rencontre et gérer le combat en douceur à courte distance à ras des pointes de jussies. Tout en sachant que, comme pour toutes les pêches, il convient de bien étudier le spot à l’avance en recherchant la présence potentielle d’obstacles. Certains prétextent, à raison, qu’il est préférable de pêcher les arbres immergés, car ils sont des zones de tenue. Je prétexte aussi, à raison, que bien souvent, tous les herbiers dans les faibles profondeurs sont principalement des zones d’alimentation et que si la pêche est bien étudiée en amont il n’y a pas de raison de jouer à « ça passe ou ça casse » dans les arbres. Un autre point sécuritaire très important: une fois le poisson dans vos mailles, étant à hauteur d’eau, il est aisé de le décrocher rapidement dans l’épuisette et vous pouvez même vous permettre de vous passer ponctuellement d’un tapis de réception, Ludwigia œuvre pour vous. Un simple transfert de l’épuisette vers un sling suffit, car les jussies forment un matelas de réception naturel épais. Les séances photos sont rapides et aisées, car même si le poisson est encore un peu nerveux, il ne craint rien s’il vient à terminer un looping sur ce matelas de verdure absorbant. Il est tout à fait possible de faire des photos esthétiques dans l’eau sans craindre de perdre son poisson avant même le premier cliché, le matelas de jussies le retiendra avec toute la sécurité nécessaire.
Alerte à la propagation ?
Ayant conscience du côté invasif de cette plante, j’ai un peu hésité avant de pêcher dans sa proximité. L’idée de la propager à cause d’un inévitable arrachement me laissait perplexe. Mais dès les premières nuits passées dans cette jungle aquatique, j’ai vite compris que notre impact était inexistant sur les rivières courantes. On constate d’ailleurs que les bancs de jussies s’installent principalement sur les zones rocheuses et surtout vaseuses, ces dernières représentant une toute petite minorité sur ce type d’eaux. Les rivières et fleuves à fort débit ont plutôt une dominante sableuse, donc les morceaux de Ludwigia propagés par le courant, les animaux ou les pêcheurs ne parviennent pas à s’ancrer comme ils le souhaiteraient. Ils rejoignent au pire un tas déjà existant, mais ne parviennent pas à le faire évoluer, car le courant joue le rôle de régulateur. Pour restreindre au maximum l’impact lié à ma présence dans la jussie, je parcours systématiquement le même sentier aquatique pour aller déposer une canne ou combattre un poisson. De cette manière, je limite l’empreinte de ma présence sur les plantes et sur toute la colonie animale et végétale qui y réside. Les guides de randonnées aquatiques en rivière procèdent de la sorte : ils parcourent un seul et unique tracé aquatique avec leur client pour ne pas trop perturber la faune et la flore présente. Sachons faire de même pour préserver cette nature qui nous est indispensable.