Très jeune, j’ai découvert que pratiquer une activité de manière trop intensive, aussi plaisante soit elle, est synonyme de baisse d’intensité. Cette petite routine qui s’installe doucement a tendance à grignoter mon plaisir, mon attention et mon émerveillement. Pour éviter être victime de ce piège redoutable, j’ai dû développer des stratagèmes. Et pour un pêcheur de carpes curieux, il est facilement possible de repousser la lassitude, tant il y a de manières différentes de nous distraire autour de ce dénominateur commun.
Grand ou petit
Personnellement, la majorité de mes sorties sont axées vers les grandes eaux libres et sauvages. La principale raison à cela est que plus le terrain de jeu est grand, plus mon mental a de facilité à s’évader. Je pêche pour énormément de raisons, mais l’évasion mentale est certainement la raison numéro 1, c’est ma soupape de décompression. Une sorte de pilule miracle pour m’échapper, le temps d’un instant, de la violence du monde moderne. Même si ce sont les grandes eaux qui me font le plus vibrer, j’ai cette chance d’avoir gardé mon imagination d’enfant, ce qui fait que globalement aucune pièce d’eau ne me laisse indifférent. Je suis tout à fait capable de dépenser autant d’énergie sur un petit canal que sur un lac de plus de 5 000 hectares, et comme je le disais plus haut, j’ai besoin de pêcher l’un pour apprécier l’autre. Les deux font la paire, c’est ma manière de flirter avec ce qu’on appelle l’équilibre.
Mystère
Quel que soit le profil du ring, l’un des points le plus important tourne autour du mystère. De ce fait, il en découle naturellement que la collecte d’informations se retrouve bannie de l’équation, dès le départ. En somme, moins j’en sais, plus je rêve, plus je rêve, plus je kiffe ! Cette variable m’offre l’opportunité de moins subir l’expansion du nombre de pratiquants sur nos berges. Un peu comme ces œillères que l’on mettrait à un cheval pour qu’il reste concentré sur ce qui se passe devant lui, je tente de me focaliser sur mon essentiel en me protégeant au maximum des autres et surtout de leurs impacts sur le milieu. C’est un axe de perception comme un autre qui, fort heureusement, est modulable et évolutif, mais c’est un moyen efficace d’essayer d’entretenir un lien plus personnel avec chacune des eaux que je fréquente. De nos jours, sur le territoire Français, les profils d’eaux les plus compatibles avec cette notion de mystère restent les grands lacs et grands fleuves de par leurs immensités. A contrario, les toutes petites eaux intimistes, que beaucoup boudent, ont elles aussi quelque chose de fascinant et tendent également à faire bouillonner mon imagination. Depuis combien de temps un pêcheur de carpe n’a-t-il pas trempé une ligne dans ce ruisseau ? Que peut bien cacher ce canal oublié de tous ? Y a-t-il des carpes dans ce trou d’eau au milieu de la forêt ? L’inconnu apporte une saveur particulière à une situation, j’en suis clairement addict et heureusement pour moi, il est assez facile de l’entretenir.
Se protéger
Mon combo préféré dans notre pays a pendant longtemps été ces rares eaux encore cachées ou/et difficiles d’accès… Mais soyons pragmatiques, depuis la démocratisation de l’usage des images satellites comme premier élément de prospection, cette « espèce » est au bord de l’extinction. Ce fut très certainement une de mes motivations pour franchir les frontières vers de nouveaux mystères, mais je ne vais pas m’égarer dans cette voie cette fois-ci. Je le répète souvent mais, en France aujourd’hui, même si l’on essaye de se « protéger » de ces informations pour entretenir une relation plus intime entre une eau et soi-même, ces infos nous rattrapent souvent bien plus vite que prévu. Gardez-vous d’annoncer à d’autres pêcheurs que vous projetez d’aller pêcher à tel endroit, au risque de subir une rafale d’informations plus ou moins justes et plus ou moins désirées. Essayez de moins être affecté par ce que vous allez observer sur le terrain. Pour être honnête c’est quelque chose que j’ai encore beaucoup de mal à faire. Lorsqu’on s’attaque à une nouvelle eau, l’une des clés vers une progression rapide tient à être le plus attentif possible. Partant de ce fait et ayant affûté ses sens, il devient assez facile de repérer des traces de carpistes (postes aménagés, branches cassées, herbes couchées, reste d’amorçages etc.). Ce genre de traces traduit une fréquentation certaine et des potentielles découvertes de stigmates sur les poissons que l’on va capturer. C’est quelque chose qui me dresse les poils, mais c’est aussi une variable que je dois accepter au risque de ne plus pêcher dans mon pays car oui, les endroits « vierges » n’existent plus. L’évolution doit provenir de l’intérieur, de soi-même, au risque de s’enfermer dans un courant nostalgique terriblement destructeur.
Éphémère illusion
Si l’illusion est encore possible elle ne reste qu’éphémère. Il m’est arrivé de tomber sur des eaux ou rien (ou presque) ne laissait à penser que des carpistes avaient sévi dans le secteur. Pourtant, dès les premières captures il devenait évident que les poissons avaient déjà croisé le fer et ce, bien trop souvent. Bien que décevant, ce constat n’est pas (plus) une raison pour jeter l’éponge. Les choses changent. Depuis une dizaine d’années, l’évolution des cheptels me fait tout simplement halluciner. La profusion de nourriture naturelle, couplée à des températures hivernales très douces, favorise la régénération durable des poissons. La qualité de l’eau se voit en légère amélioration si l’on compare les relevés de bon nombre de cours d’eau depuis les années 1980. Les alevinages de qualité se répandent doucement, vectorisant un futur prospère pour les pêcheurs. Enfin, l’éveil des consciences, lent mais constant, fait que je retrouve un peu d’espoir là où je n’en avais plus il n’y a pas si longtemps. Les cheptels sont en perpétuelle évolution, ils se « réparent » de plus en plus vite, les exemples sont nombreux. Loin de moi l’envie d’alimenter le feu de l’égoïsme en donnant un prétexte facile à ceux qui mettront les bouchées doubles pour défoncer les poissons non volants de tel ou tel plan d’eau, mais je suis forcé de constater que la nature panse ses plaies de manière toujours plus remarquable. Persuadé que les certitudes étaient inébranlables, je me suis vu dire : “ce lac est mort!” Mort oui, il l’était, jusqu’à sa renaissance…
Phoenix
Rien n’est définitif et les drames doivent servir de leçons. Une légère adaptation de notre comportement pourrait changer drastiquement les choses. L’heure est à l’attention, car c’est en étant attentif, conscient et responsable que l’on se rapprochera au plus près de ce fameux équilibre. Cet éveil des consciences se remarque chaque jour, dans de tout petits détails aussi bien sur le Net que sur le terrain. Alors oui, il reste encore beaucoup trop d’actes vides de sens, prônant l’individualisme et la surconsommation de tout et n’importe quoi, mais au milieu de tout ça les petits gestes aux grandes conséquences se développent, alimentant le grand feu de l’espoir. Dénoncer les problèmes c’est bien, débattre à leur sujet c’est encore mieux, mais à quoi bon dépenser autant d’énergie si c’est pour tuer l’oisillon dans l’œuf ? Je constate encore trop de débats stériles sur des sujets qui demandent du concret. Malgré un brassage riche d’idées, l’issue se résume trop souvent à une critique subjective de son voisin. Pourtant nombreux sont ceux qui n’oublient pas que ce n’est pas parce qu’on n’a pas encore trouvé de solution qu’il n’y en a pas une. Quel que soit le sujet, quel que soit le constat, les acteurs de ce monde ont besoin d’élans positifs, nous avons tous besoin de positif, et comme beaucoup d’autres choses, le positif se cultive, par des pensées, des actes, des mots… Chaque situation possède sa part de positif, encore faut-il faire l’effort de l’apercevoir.
Positiver
Je fus des premiers à critiquer le phénomène de moutonnerie bien présent dans le monde carpe. Cette fâcheuse tendance à tous aller au même endroit, à tous reproduire la même chose, à jalouser le voisin et à tenter de refaire ce qu’il a pu faire pour tenter de s’approprier, le temps d’un instant, le résultat de son cheminement. Il n’y a rien de bien séduisant dans cette tendance, cependant, si on la creuse, il devient alors évident que la masse, qui s’apparente à une nuée de mouches sur un seul gâteau, ne peut être sur tous les gâteaux à la fois. D’un point de vue purement mathématique, j’aurais tendance à me satisfaire d’une répartition plus équitable de l’armée de carpistes sur l’ensemble de nos eaux mais en réalité je peine à croire que cela soit une réelle solution tant ladite « solution » à tendance à se tenir toujours de l’autre côté de la ligne. Mais qu’importe, l’idée mise en avant est qu’il est possible de tirer du positif de chaque situation et qu’en attendant un monde meilleur, on peut toujours tenter d’en façonner les plans. L’adaptation de chacun est la clé d’un potentiel équilibre futur.
Sortir de sa zone de confort signifie adopter un autre regard sur son ensemble. C’est s’ouvrir au nouveau et se découvrir adapté aux imprévus.