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Culture Carpe, par Eric Deboutrois : l'hameçon

Tout part d’un fil d’acier.

Crédit photo VMC
Les plus vieux hameçons, taillés dans des coquillages, remontent à 30000 ans. Bien d’autres matériaux naturels (os, bois de cerf, écaille de tortue, dents de sanglier, bois et silex…) furent utilisés avant que ne s’y substituent le cuivre ou le bronze, puis le fer et les aciers. Si la forme en crochet des hameçons est la même depuis des millénaires, l’évolution des techniques de métallurgie a fait faire un bon considérable à leur qualité.

Un peu d’histoire et de métallurgie. Pendant longtemps les métaux ferreux furent obtenus dans des bas fourneaux. De petites quantités de loupe de fer pouvaient ensuite être martelées à chaud par des artisans forgerons. À partir des XIIe et XIIIe siècles, avec l’expansion des moines cisterciens et de leur maîtrise de l’hydrologie, les forges furent mécanisées. Les roues des moulins à eau, via une came, actionnaient d’énormes marteaux permettant le martelage et la production de plus grosses quantités.

Étape de fabrication des ardillons.
Crédit photo : VMC

En Europe, la production s’est essentiellement accrue avec la demande des armées, pour répondre aux besoins liés aux nombreuses guerres du Moyen Âge. Avant l’utilisation des hauts fourneaux entre le XIIe siècle (Suède, Allemagne) et sa généralisation au XVe siècle, la plupart des aciers produits étaient relativement pauvres en carbone. Puis, avec la possibilité de monter à de très hautes températures, il a été possible de modifier la structure cristalline du fer et d’y faciliter l’intégration d’atome de carbone. La dureté fut encore améliorée au milieu du XVIIe siècle, grâce aux techniques de trempe.

Étape de finition.
Crédit photo : VMC

Les hameçons en acier

Dans le plus vieux traité de pêche à la ligne, The Treatyse of Fishing with an Angle (1496), attribué à Dame Juliana Berners, une religieuse, est décrit le matériel nécessaire et l’art subtil de transformer les plus fines aiguilles d’aciers en hameçons, comment « les faire rougir avant de faire l’ardillon au couteau, aiguiser la pointe, les cintrer après avec de petites pinces, puis les remettre au feu et les retremper bien rouges » (voir illustration ci-dessus).

Izaac Walton, dans la deuxième édition de The Compleat Angler, or the Contemplative Man’s Recreation (1655), recommandait les hameçons inventés par Charles Kirby. Ces hameçons en acier trempé étaient fabriqués et vendus à Londres, dans des merceries spécialisées en articles de pêche. Après le grand incendie qui ravageât Londres en 1666, de nombreuses activités à risque (fonderies, forges…) déménagèrent, notamment à Redditch. Probablement que Kirby utilisait à l’époque l’acier au creuset, spécialité anglaise qui permettait d’augmenter le taux de carbone. Ce qui est sûr c’est que les Anglais avaient commencé leur révolution industrielle en avance sur les autres pays européens, et que leur technique de production des aciers profitait aussi aux hameçons (voir illustration ci-dessous).

Hameçon de forme Kirby, pointe décalée sortant légèrement.
Crédit photo : Media Carpe

Dans la Grande Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1750-1765), deux planches illustrent la façon dont étaient fabriqués les hameçons à la fin du XVIIIe siècle. Le haut de l’illustration ci-dessous met en scène trois ouvriers occupés à l’arrière d’une boutique.

Le premier, assis à gauche, « palme » la dressée en son milieu avec la panne d’un marteau (la palme désignait ce qu’aujourd’hui nous appelons la palette). L’ouvrier du milieu forme un « ranguillon » (ardillon) à chaque extrémité avec un couteau. Le troisième épointe les extrémités à la lime. La dressée est ensuite recourbée sur un plioir avant d’être sectionnée à l’aide d’un coupoir en son milieu.

L’illustration ci-dessus décrit le couteau et le coupoir. Pour les plus petits hameçons l’encyclopédie renvoie aux matériels utilisés par les épingliers. La légende indique qu’on voit une cheminée sous laquelle doit être un « fourneau à moufle » semblable à celui des émailleurs. On mettait les hameçons sur une plaque de tôle que l’on plaçait sous la moufle pour les faire rougir ; avant de les jeter dans l’huile où le fil d’acier de Hongrie, dont ils étaient formés, prenne un degré de trempe convenable. Alors que Diderot et Alembert parlent de l’acier Hongrois, plusieurs auteurs français s’accordent sur la qualité de l’acier et des hameçons venus de Grande-Bretagne. En Angleterre le fil d’acier était étiré à Birmingham, puis envoyé aux producteurs dans les villes voisines dont Redditch qui devint, entre les milieux des XVIIIe et XIXe siècle, le principal centre de production d’hameçons. Charles de Massas (Manuel du pêcheur à la mouche artificielle et du pêcheur à toutes lignes, 1852) dit que les meilleurs hameçons sont les Limerick de forme Irlandaise (dite aussi « Crystal ») car bien trempés, acérés et surtout sans cette palette qui, selon lui, « ne sert qu’à gêner la pose des appâts et à les détériorer ». N. Guillemard (La pêche à la ligne et au filet dans les eaux douces de la France, 1857, p. 21-22) met en avant ce qu’il présente comme une invention d’un fabricant français quelques années plus tôt, qui consiste à « substituer à la palette une petite boucle qui forme à la base de l’hameçon un anneau composé de la verge repliée sur elle-même ». On trouve dans l’Encyclopédie Générale l’hameçon à œillet présenté comme un hameçon à anguille.

Guillemard l’utilité n’était pas nécessairement d’y nouer le fil en passant dans l’œillet, comme l’indiquait pourtant M. Pesson-Maisonneuves en 1826 (Manuel du pêcheur français ou traité général de toutes sortes de pêches, p. 12), mais d’éviter que le crin ligaturé autour de la « verge » ne vienne s’abîmer contre la palette. Il poursuit en écrivant « qu’il n’y a pas un demi-siècle [jusqu’en 1800], la France, pour les hameçons comme pour les aiguilles, dont la fabrication est à peu près la même, était encore tributaire de l’industrie allemande ou anglaise. Aujourd’hui, grâce aux perfectionnements introduits dans la production et la manipulation de l’acier, les hameçons français ne le cèdent en rien à ceux d’aucun autre pays […] ». M. B. Poitevin (L’ami du pêcheur, 1873, p. 144) confirme qu’« autrefois les hameçons fabriqués en Angleterre étaient les seuls qui fussent bons » tout en indiquant « [que l’Angleterre] a conservé sa supériorité, et [que] sa renommée est justifiée ». Avec le développement de la pêche à la ligne, d’autres lieux de production « recommandables » (dit « Poitevin ») ont effectivement vu le jour. L’usine norvégienne Mustad, qui produisait depuis 1832 des fils de clôture, des épingles, des punaises et toutes sortes de clous (pour fer à cheval, pour la construction navale), se diversifiera vers 1876 pour produire des hameçons (elle rachètera d’ailleurs Partridge of Redditch).

Les hameçons La Bouée de chez VMC.
Crédit photo : VMC

L’évolution fut assez similaire en France pour les forges de Morvillars (Territoire de Belfort) qui existent depuis 1776 et sa fabrique de vis à bois. Elles créèrent en 1910 l’entreprise Viellard Migeon et Compagnie (plus connue sous l’acronyme VMC). Charles Viellard acquiert des machines anglaises à Redditch, permettant la fabrication d’hameçons. Dix familles d’artisans venues du Middland débutent la production d'hameçons d'abord à Grandvillars avant que les locaux ne soient transférés à Morvillars en 1938. La fabrication est manuelle avec, déjà une machine ou un outil spécifique par étape de production. Les hameçons VMC sont vendus sous la marque La Bouée à travers la France. Depuis, VMC est devenu un des leaders mondiaux de la fabrication d’hameçons. Après-guerre le Japon (Gamakatsu créée en 1955, Hayabusa en 1959, Owner en 1968) se taille une part du marché grâce à sa maîtrise de la production d’acier et des démarches qualité, ce qui n’a pas toujours été le cas des fabricants d’hameçons chinois ou coréens.

Les fameux Z11 en taille 2.
Crédit photo : Media Carpe

Les hameçons à carpe

Concernant la pêche de la carpe, il faut bien avouer qu’il n’y aura pas vraiment de matériel dédié permettant la capture de véritables gros poissons avant le milieu du XXe siècle. En France, on utilisera longtemps les hameçons triples pour pêcher à la patate, voire les modèles d’hameçons simples disponibles pour escher une fève. Le Docteur Ernest Sexe (La carpe de rivière, 1937) déconseillait le Limerick qu’avait mis en avant Massas (pour la mouche), trop fin, et recommandait pour sa solidité l’hameçon droit bronzé à œillet intérieur Pennell’s. Raoul Renault (La carpe, ses mœurs, sa pêche, 1941) insistait également sur la qualité de la trempe, mais ne tranchait pas entre la palette ou l’œillet pour l’hameçon simple.

L’hameçon avec lequel Richard Walker a pris Clarissa.
Crédit photo : Media Carpe

En revanche, sur la photo, un hameçon très similaire à celui que Richard Walker utilisera en 1952 pour capturer Clarissa, à savoir un « Model Perfect » de la société Samuel Allcock & Co., basée à Redditch! En 1984, Jo Nivers répondant à un lecteur1 regrettait que « très peu de fabricants se donnent la peine de produire et de proposer des hameçons spécialement consacrés à la pêche de la grande carpe, estimant sans doute, que le marché était trop restreint […] » et poursuivait en disant qu’ils cèdent, s’ouvrent, et ne retiennent plus le poisson, voire cassent si la trempe est trop faible. Lui pêchait avec des « Présidents forgés et bronzés » et quelques autres modèles, avant de découvrir et de ne plus utiliser que des hameçons à dorade, très solides, indéformables et ayant une pointe extrêmement pénétrante.

Pendant ce temps-là, Partridge of Redditch collaborait avec beaucoup de pionniers de la pêche moderne de la carpe, comme Jack Hilton (pour faire le modèle Z1), Kevin Maddocks (le Z15), Rod Hutchinson… Ces références d’hameçons franchiront la Manche en même temps que la révolution des techniques (la pêche au cheveu et les bouillettes) à la fin des années 80, pour côtoyer ensuite dans nos boîtes les Daï-Steel, Drennan Boilie Hook ou Star-Point, Gardner, Gamakatsu, Hayabusa, sans oublier les VMC 9104.

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