Si on pêche dans un plan d’eau dégagé avec en corps de ligne du nylon de 26/100, parce qu’on veut atteindre des distances faramineuses, on ne pourra pas trop tirer sur les poissons. Aussi le maillon faible ne sera pas forcément le fer de l’hameçon. Comprenez par là qu’on pourra s’attacher à d’autres qualités qu’à sa résistance à l’ouverture. L’idée de ce préambule c’est plus d’ouvrir ses chakras que nos hameçons et d’éviter un débat dans lequel chacun s’enfermera dans ses propres convictions. Je vieillis, mais je me souviens encore très bien de ma période Korda, au cours de laquelle certains publiaient de véritables brûlots au sujet de modèles d’hameçons qui s’ouvraient (et s’ouvrent encore) alors même que des gars du Team juraient sur la tête de leur lit que jamais, ô grand jamais, eux n’en ouvraient un seul… Et comme Saint Thomas, tout ce beau monde érigeait en vérité absolue ce qu’il constatait.
Une question d'harmonie
Pour commencer, j’aimerais donc rappeler que chaque chose doit être cohérente avec le contexte, dans un grand tout. Pour être concret, je ne vais pas pêcher avec des Kaptors (quelle que soit leur taille) avec mes Obsessions en 3,5 lbs et un bras de levier de près de 4 m, avec de la tresse de 30/100, frein serré, à proximité d’obstacles. Ce serait un non-sens et bien sûr que les hameçons s’ouvriraient. En tresse, même avec des cannes moins puissantes et plus courtes, j’ai ouvert des hameçons plus forts de fer (de différentes marques) sur des petites furies de rivières, chose qui par exemple ne s’est plus reproduite en changeant quelques critères et en passant notamment sur du nylon… Là encore, il y a « nylon et nylon » et il y aurait beaucoup de choses à dire, même si les réactionnaires crieront à la redite, alors que les matériaux, eux, ne cessent d’évoluer! Bref, il y a une réelle harmonie à avoir, depuis l’approche stratégique jusqu’à l’épuisette, en passant par la façon de mener les combats et la taille des bouillettes…
Trouver le bon compromis
Ceci étant dit, il y aura toujours quelques invariants, liés aux lois physiques. Les hameçons piquent d’autant mieux que la pointe est effilée, ce n’est (presque) qu’une question de pression, autrement dit de rapport entre la force exercée et la surface sur laquelle elle s’exerce. Plus la surface de la pointe est petite (variable avec la conicité de celle-ci et de son enfoncement), mieux la pointe s’enfonce à résistance égale des chairs. Pour cela il vaut donc mieux une pointe longue, effilée, teflonée et idéalement sans ardillon ou avec un micro-ardillon. A contrario, plus la pointe sera fine et moins elle sera résistante aux différentes contraintes mécaniques subies. J’ai disserté là-dessus il y a quelques années déjà et en la matière le constat reste le même: il est difficile d’avoir le beurre et l’argent du beurre, sinon on pêcherait tous avec le même modèle d’hameçon, or c’est loin d’être le cas! Au mieux chacun trouve-t-il « son » compromis, raison pour laquelle il se vend pléthore de modèles, dans moult tailles, et que chacun prétend détenir le meilleur… Ce qui est probablement vrai, pour « sa » pêche, chacun avec pour œillères les pages de son cahier des charges.
Et que ça pique bien
Je pense qu’il n’est plus utile de démontrer la nécessité d’un excellent piquant, associé bien sûr à une mécanique optimale du montage, quand on a vu avec quelle facilité une carpe recrachait un montage. Alors oui, probablement que nombre de vidéos subaquatiques sont intéressées et à caractère commercial, pour nous vendre l’hameçon ou le montage révolutionnaire, mais on ne m’ôtera pas de l’esprit pour autant que, tout autre paramètre égal par ailleurs, lorsque le critère du piquant prime sur la résistance, on doit privilégier la plus petite taille et la plus fine section de pointe nécessaire. Enfin, et ce peut être un atout supplémentaire, qui dit hameçon qui pique mieux dit nécessité d’une moindre pression, donc d’une plombée de prépiquage et d’un plomb de fuite moins lourd. Si on ne maîtrise pas vraiment tout ce qui se passe dans la bouche d’une carpe (et le dire est un euphémisme), on peut par contre mettre toutes les chances de son côté pour que l’hameçon pique mieux, s’il touche les chairs.
Éloge de la vitesse
Cette notion de piquant prévaut notamment lorsqu’il n’y a pas ou peu de mouvement du poisson. Dès que les poissons se nourrissent en se déplaçant et plus encore lorsqu’ils paniquent et accélèrent, c’est la vitesse qui fait le job. Bien intégrer cette notion est important, elle explique pourquoi les montages de fuite fonctionnent si bien, « si et seulement si » la carpe panique et ce malgré toutes les imperfections de nos montages ou de nos hameçons. Vous n’êtes bien sûr pas obligés de me suivre dans mes réflexions, ni de me croire sur parole vu que beaucoup de choses se passent sans que nous nous apercevions de quoi que ce soit, et pour cause. Vous allez me dire que vous avez eu 10 touches et que vous avez piqué 10 poissons. À votre paradigme je répondrai que si la carpe ne bouge ni ne panique, votre plombée principale ne bougera pas d’un iota, pas plus que votre swinger super léger ou que votre détecteur dernier cri pourtant réglé au plus sensible n’aura éructé le moindre « burp ». Zéro touche et pourtant la carpe aura touché, aspiré et recraché votre esche… Au mieux vous aurez peut-être eu un bip, une légère montée d’écureuil, sans plus. Voilà, j’espère juste avoir saupoudré un tantinet de doute sur vos certitudes, pour ouvrir vos chakras et susciter votre réflexion…
Comment vérifier vos pointes ?
Si vous ne me suivez pas dans ma réflexion, accordez-moi a minima qu’un hameçon finit toujours par s’émousser. Sinon donnez-moi tout de suite la référence ! Il faut considérer cet élément du montage comme un « consommable », ni plus, ni moins. Reste à savoir à quelle échéance on finit par le jeter. Disons d’un à trois poissons par hameçon, quelquefois plus, parfois moins. Et c’est quelque part la régularité des touches qui peut orienter votre choix sur tel ou tel type d’hameçon ou de pointe, sachant qu’on prendra fatalement le risque d’en louper avec des hameçons émoussés. Ce qui ne veut pas dire qu’en l’absence de touche on ne doive pas vérifier le piquant, dès qu’on relève un montage, la pointe pouvant s’abîmer rien qu’à reposer sur le fond. Même dans les pochettes d’hameçons neufs, il arrive qu’il y en ait un ou deux de moins piquants que les autres. Les petites loupes de bijoutier grossissant 30 à 40 fois environ sont idéales pour vérifier cela, ne coûtent trois fois rien (une dizaine d’euros) et ne prennent vraiment pas de place dans une boîte à pêche. D’ailleurs Korda (et je crois que c’est la seule marque) a sorti des boîtes « Hook safe » qui intègrent une loupe et permettent d’y ranger vos hameçons ainsi contrôlés. Si vous n’avez pas de loupe, pas de panique, je suis à peu près sûr que vous avez un smartphone, vous pouvez aussi vous servir de son appareil photo pour zoomer sur la pointe. Si vous êtes plus kinesthésique (sur le ressenti) que visuel, testez la pointe sur la peau d’un doigt et vous constaterez que l’hameçon peut sembler neuf et piquant alors qu’il l’est plus ou moins. On peut aussi faire le test de l’ongle, sans forcer pour ne pas abîmer la pointe. Certains disent qu’il faut qu’elle raye l’ongle. Pour moi une pointe est réellement affûtée si elle ne glisse pas mais plante dans l’ongle !
Une deuxième vie à vos hameçons
En action de pêche j’ai toujours quelques montages d’avance et, pour ne pas perdre de temps, j’en change au moindre doute avant de stocker les vieux hameçons dans une boîte à aiguilles à la maison. En fin de saison je peux ainsi me retrouver avec une bonne centaine d’hameçons émoussés. Avant je les jetais. La saison dernière, j’ai décidé de leur donner une seconde vie. Avant de voir dans le détail comment faire, voyons déjà si le jeu en vaut la chandelle. Investir dans une gomme abrasive (Rock Hook Sharpener de PB products, The Gom de LCA Tackle…) ou dans une lime reste très abordable, de l’ordre d’une dizaine d’euros. C’est souvent suffisant pour traiter les petits bobos, au cas par cas. On peut utiliser la gomme abrasive comme une lime, je vais l’expliquer, ou simplement planter l’hameçon dedans et tourner plusieurs fois dans un sens puis dans l’autre. Il est aussi possible, à l’aide de cette même gomme ou d’une lime dédiée, de faire un couple de passages vers la pointe, parallèlement à celle-ci, voire avec un très léger angle rentrant pour lui redonner un peu de finesse. Dès qu’on veut refaire complètement une pointe il faut un peu plus de matériel: un étau à main (20 €), une loupe (10 à 20 €), un jeu de limes (20 €), a minima une dure pour enlever de la matière et une douce pour les finitions. Tout cela existe aussi en kits complets qui, selon la marque, coûtent de 70 à 85 € avec la trousse. Ils sont très pratiques pour refaire quelques hameçons si on s’y colle régulièrement. Par contre, attaquer manuellement une session d’affûtage pour plusieurs dizaines d’hameçons peut s’avérer long et pénible. Vous avez alors l’option électrique.
Affûtage électrique
Ne souhaitant pas acheter un Hook Doctor Nash à 90 € (que j’ai tout de même fini par le tester pour comparer et finaliser cet article) et compte tenu de l’absence d’offre alternative sur le marché, j’ai exceptionnellement commandé une copie chinoise à 20 €. Bon, la copie fait le job mais on en a pour son argent: pas de boîte EVA pour le stocker (une simple housse en tissu), pas de patin antidérapant sous l’appareil, pas d’indicateur de charge de la batterie (ceci dit j’ai aiguisé ma centaine d’hameçons sans avoir à la recharger), pas d’indication du sens de rotation sur l’inverseur de sens (d’autant qu’il est contre intuitif), meule un peu grossière (vs la pierre en Carborundum 180 du Hook Doctor)… Quelque pourrait être votre choix d’outil électrique, il vous faudra aussi un étau à main, une lime de finition et une loupe, si vous n’avez pas déjà tout cela. Au passage l’éclairage LED intégré dans la loupe Pinpoint (X40) est un réel plus. Tant que nous sommes dans les aspects pratiques, veillez à serrer très fermement l’étau Pinpoint Hook Doctor Vice afin que l’hameçon ne s’envole pas. J’insiste car même en sachant, cela m’est arrivé. S’il est finalement assez facile d’obtenir un résultat correct en peu de temps, le coût global de l’option électrique représente toutefois un investissement qui peut être rédhibitoire, sauf à investir à plusieurs et à se passer l’outil, ou à acheter en Chine.
Hameçons ultra-pointus, un marché de niche ?
Même s’il est assez facile d’obtenir un résultat correct au bout de quelques essais, je n’ambitionne pas (encore) d’obtenir des hameçons plus piquants que des neufs, ceux que j’achète l’étant déjà suffisamment. Peut-être que cela viendra avec le temps et l’entraînement. Si vous ne souhaitez pas investir ou si vous n’êtes pas du tout manuel et que vous souhaitez tout de même avoir des hameçons ultra-pointus, vous avez 3 autres options. En magasin, à ma connaissance il n’y a que Korda qui propose ce type d’hameçon avec les Kamakura. Sur le Net, il est possible de trouver beaucoup de marques et de formes d’hameçons affûtés à la main (tapez Hand Sharpened hooks sur un moteur de recherche). Bien évidemment les hameçons ultra-pointus coûtent plus cher, entre 7 et 10 € la dizaine. Si en ligne vous ne trouvez pas votre modèle d’hameçon fétiche, il est aussi possible de l’envoyer à un professionnel, il vous en coûtera environ 5 euros pour pimper 10 hameçons.
Avec ou sans ardillon
J’ai écrit que les hameçons sans ardillons piquaient mieux puisqu’ils n’opposent aucune résistance à la pénétration de la pointe, mais ils dépiquent (se décrochent) aussi plus facilement ! Dès que la pression du combat retombe les poissons arrivent à s’en libérer seuls. Une fois sur le matelas de réception c’est un avantage, idem en cas de casse. Dès lors qu’on est soucieux du bien-être des poissons ce sujet est source d’injonctions paradoxales, avec lesquelles on doit composer. Réglementairement, sur le domaine public au sens large rien ne nous y oblige. Cependant dans le privé, au « mieux » le micro-ardillon est autorisé et au « pire » il est purement et simplement interdit. Partout ? Non ! C’est l’occasion de vous présenter un modèle d’hameçon atypique, commercialisé il y a un peu plus d’un an par Luke Moffat, le gérant du Domaine des Graviers. De par sa conception le « Tic hook » offrirait des capacités accrues d’antiéjection et c’est assez facile à comprendre.
Nano ardillon
Sur des poissons statiques, l’hameçon peut « pré-piquer » du bout de la pointe, mais pas suffisamment pour éviter qu’il ne soit éjecté ou ne décroche lorsque la carpe fait naturellement ses mouvements de bouche. Pour pallier cela, l’idée de Luke Moffat a été d’ajouter un « nano » ardillon (encore plus petit qu’un micro-ardillon), très près de la pointe, avant l’ardillon principal. À l’aspiration, la carpe se retrouve ainsi aux prises avec un hameçon « deux en un » : une première partie, courte, fine et piquante, qui assure le maintien de la pointe avec le nano ardillon et une seconde, plus forte de fer et résistante, avec un micro-ardillon dont le rôle est d’assurer la prise, que ce soit à l’auto-ferrage sur un montage de fuite classique ou au ferrage si vous préférez utiliser des petits plombs ou des montages coulissants et des indicateurs de touche ultralégers.
Impossible d'y échapper ?
Si la réflexion semble intéressante, ce concept rappellera forcément aux plus anciens d’entre vous celui du Fastgrip, comportant 3 micro-barbes, né de l’imagination bouillonnante de Dominique Audigué et produit par VMC en 1999 ! « Impossible d’y échapper » disait la publicité de l’époque, même si pour l’avoir essayé le piquant laissait un peu à désirer par rapport aux hameçons actuels. Quand on teste le Tic hook sur ses doigts, il s’accroche et colle littéralement à l’épiderme dès qu’on passe le nano ardillon. Et à la bouche des poissons ? Les tests menés par Luke Moffat (sur des carpes mortes) montrent qu’un tout petit lest suffit à piquer ce nano ardillon (NB: on est toujours sur l’hypothèse de poissons peu mobiles), là où il faut quatre fois plus de poids pour dépasser le micro-ardillon sur les autres modèles d’hameçons testés (voir son tableau). C’est d’une logique implacable vu que l’ardillon du Tic Hook est plus petit, plus près de la pointe. Sur ce tableau, notez au passage le léger avantage (30 g) d’une pointe ultra-pointue (Kamakura) et la nécessité pour les autres d’une plombée minimale de 140 g pour claver le micro-ardillon. C’est en référence aux appendices des tiques que Luke Moffat a appelé son hameçon « Tic Hook ». Quand on sait avec quelle facilité ces bestioles s’accrochent un peu partout, on se dit que le biomimétisme a probablement de beaux jours devant lui, y compris dans la pêche. Est-ce pour autant l’hameçon miracle ? Dans l’absolu, ma réponse sera non, pour deux raisons. Primo parce que quel que soit le tique ou l’hameçon n'oublions pas que s’il ne touche rien, il n’agrippera rien : on doit aussi travailler à la bonne mécanique de nos montages. Deuzio parce que le Tic Hook reste fin de fer et devra être réservé aux pêches fines, en nylon. Cela dit, si c’est votre type de pêche, la piste me semble intéressante. Notez enfin que ce nano ardillon ne fragilise en rien l’hameçon, ni ne cause de dommage supplémentaire aux poissons, vu qu’il s’inscrit finalement dans le trou causé par le fer de l’hameçon. Encore faudra-t-il, comme tout hameçon à ardillon, le décrocher convenablement, c’est-à-dire en deux temps, d’abord en exerçant une légère pression sur la hampe pour dégager l’ardillon, et ensuite seulement en dépiquant l’hameçon.
Bonus : Méthode d'affutâge pour les hameçons, étape par étape
Si vous souhaitez refaire totalement la pointe d’un hameçon usagé, je vous suggère de suivre la méthode d’affûtage sur 3 faces de Jason Hayward (JAG Products).
- Bien serrer l’hameçon dans l’étau à main afin qu’il ne bouge pas et s’assurer d’une bonne prise.
- Sur le côté de l’hameçon, de l’ardillon vers la pointe, faire glisser sans forcer une lime à gros grain, parallèlement à la pointe ou avec un très léger angle rentrant. En fonction du grain de la lime, vous devrez donner une demi-douzaine de coups de lime environ. C’est le même principe avec la meule, en dirigeant la pointe dans le sens de rotation. Le bouton inverseur de sens permet justement d’être à sa main. Personnellement je fais un côté dans un sens et l’autre dans l’autre sens. N’hésitez pas à vérifier à la loupe car c’est moins facile d’estimer la durée à la meule que de compter les coups de lime, et poursuivre jusqu’à obtention du résultat escompté ;
- Répéter l’opération de l’autre côté de l’hameçon (toujours de l’ardillon vers la pointe).
- Faire de même avec le dessus de la pointe (côté opposé de l’ardillon), en suivant éventuellement la forme de la courbure de la pointe, si celle-ci est rentrante. Il faut un peu plus de coups de lime, une dizaine environ. On pourrait s’arrêter à ce stade (je vérifie le piquant sur la peau d’un doigt) mais on peut encore affiner en passant à l’étape suivante. Vous comprendrez au passage qu’affûter ses hameçons rend les pointes forcément plus fragiles et moins dures, vu qu’on enlève de la matière et que le traitement chimique de surface ainsi que l’éventuel revêtement Téflon, seront supprimés.
- Biseautez les angles entre ces trois faces élimées.
- Avec une lime plus douce, finissez le polissage.
- Enfin, pour éviter que la pointe ne rouille, trempez-la dans un peu de matière grasse (vaseline ou graisse) ou utilisez un marqueur prévu à cet usage