Qu’est-ce qu’une grande carpe de Loire ?
La population d’un bief de Loire ressemble à un essaim d’abeilles. La composition sommaire d’un essaim compte une reine, une bonne centaine de faux-bourdons et plusieurs dizaines de milliers d’ouvrières.
Une reine de Loire est une carpe qui se distingue des autres poissons du banc par son gabarit hors norme, d’au moins 17 / 20 kilos. Les faux-bourdons sont des poissons de la catégorie 13 / 16 kilos, ils représentent une densité très relative mais plutôt accessible. Viennent ensuite les innombrables petites ouvrières, des petites carpes (majoritairement des communes fuselées) de la catégorie 5 /12 kilos avec une moyenne générale oscillant entre 8 et 10 kilos.
Une géante de Loire est un poisson qui se mérite car, depuis son plus jeune âge, elle a utilisé tous les subterfuges pour survivre aux prédateurs et à tous les dangers de son environnement, ainsi qu’aux pièges liés aux mouvements du fleuve. Au mieux de sa forme et dans ses meilleures années, elle accusera une masse corporelle pouvant approcher, ou très rarement dépasser, la taille des carpes goliaths de plus de 30 kilos que l’on peut croiser de plus en plus fréquemment sur d’autres types d’eaux. Cependant la prise d’un tel poisson sur la Loire n’est pas anecdotique et surtout bien plus « goutue » que dans un lieu clos où la moyenne des prises est supérieure à 20 kilos.
Tout est question de challenge, de technique et de rigueur pour dénicher la reine parmi les ouvrières. Ces rares géantes au corps trapu sont bien généralement arrivées là par accident, échappées des eaux mortes lors des crues ou via des très rares alevinages ultérieurs constitués de bonnes souches. Elles ont croisé leur génétique avec les autochtones pour faire perdurer leur existence. On constate d’ailleurs sur certains biefs une population supérieure de miroirs et de communes plus trapues, ce qui amène une bonne quantité de faux-bourdons avec un bonus de quelques reines supplémentaires pour moins d’ouvrières fusiformes. La moyenne du poids des prises est en constante augmentation sur certains secteurs, paradoxalement sur d’autres zones les petites communes continuent leur ascension et laissent peu de place à la potentielle présence d’une géante. La Loire a déjà produit, à ma connaissance et de source officielle des poissons de plus de 25 kilos, mais il y a fort à parier que de très grandes carpes de près de 30 kilos (ou plus) y nagent. Nous regarderons ensemble, un peu plus loin dans cet article, les postes clefs où espérer rencontrer ces grosses carpes.
Leur comportement hiérarchique et grégaire
Les agissements des gros poissons de Loire sont totalement différents de leurs collaboratrices plus petites. Sur certains fleuves et rivières, les grandes nappes d’eau profondes et les faibles étendues des radiers peuvent amener les grosses carpes à de grands déplacements malgré un comportement à dominance sédentaire. La topographie de la Loire est totalement inversée, elle comporte des petites nappes d’eau profondes et de grands radiers sur lesquels il n’est pas rare de pouvoir traverser à pied sans se mouiller plus haut que les genoux.
On pourrait la comparer à une très grande rivière de première catégorie où les fosses sont minoritaires. Ces paramètres amènent les reines à rester dans leur tenue de confort, « at home », sur des zones restreintes, plus profondes et plus intimes que la moyenne. Les petites ouvrières sont quant à elles de vraies baroudeuses, elles voyagent en banc groupé, souvent à heures régulières et il n’est pas rare d’avoir des départs en rafale lors de leur passage, y compris sur les radiers, dans moins de cinquante centimètres d’eau. Les gros sujets se mélangent peu aux petites carpes hormis en période de frai ou nous pouvons souvent observer les nombreux petits mâles bousculer les grosses femelles pour la bonne cause. En temps ordinaire, la raison du plus fort est toujours la meilleure et les reines ont tendance à gicler les ouvrières de leur poste de prédilection, plus particulièrement lors des phases alimentaires.
Les observations en hauteur, perché dans les arbres, ainsi que les quelques plongées effectuées nous montrent que les grandes et les petites peuvent se mélanger temporairement en période diurne, sur des phases de repos dans les zones en dehors du courant. Ces mêmes lieux abritent toutes les variétés de poisson en journée, les silures cohabitent avec les carpes, les barbeaux, les brèmes, les chevesnes, les petits blancs…Tout ce petit monde vit tranquillement en harmonie jusqu’à la tombée de la nuit qui sonnera le début de la traque. Les silures partiront en chasse, les carpes et autres cyprinidés se sépareront eux aussi en quête de nourriture. Mea culpa, il est toutefois tout à fait possible de prendre des carpes durant la journée, mais les pics alimentaires sont clairement plus intenses de la tombée du jour jusqu’au petit matin. Les phases d’approches discrètes en bateau sont aussi très riches d’enseignement car on peut observer les poissons sous plusieurs angles.
On constate que, de jour, les reines sont souvent légèrement à l’écart des ouvrières et des faux-bourdons, par groupe d’un à cinq individus maximum. Les petites et moyennes carpes sont souvent entassées en nombre sur le fond, au beau milieu ou en périphérie d’un tas de bois. Les amours blancs, nombreux sur certains secteurs en Loire, adoptent le même comportement, les petits sont souvent en groupe et se mélangent même souvent avec les carpes de calibre identique, tant dis que les « gros Eros » sont souvent un peu à l’écart.
Les postes clefs pour dénicher les reines.
Les grandes carpes de Loire sont, disons-le, fainéantes par obligation. Elles économisent les déplacements, car leurs différents besoins énergétiques sont beaucoup plus considérables que ceux de leurs copines à taille réduite.
Elles ont besoin de stocker pour survivre et les conditions difficiles de ce fleuve ne s’y prêtent guère. Onduler longuement dans le courant ne les intéresse pas vraiment, bien qu’à certaines occasions elles s’y aventurent, notamment dans les veines d’eau qui charrient une bonne quantité de nourriture naturelle qu’elles n’ont plus qu’à cueillir. Les postes idéaux se trouvent donc dans les zones où le courant est modéré ou même mieux, carrément absent. Pour trouver ce type de spot, rien de plus simple, aujourd’hui nous avons les moyens techniques d’y accéder virtuellement, le cul sur notre chaise, en employant les images satellites depuis notre ordinateur ou smartphone.
Etant donné que ces recoins ne sont pas fréquents, il s’avère en réalité aisé de trouver un poste qui pourrait potentiellement abriter une majorité de faux-bourdons et quelques reines. L’idéal étant un poste accessible seulement en bateau. Ces mêmes zones sont aussi généralement d’excellents spots à silure. L’équation d’un bon emplacement potentiel doit comporter différents éléments au sein du poste ou dans sa périphérie. Les Reines ont besoin de varier divers mets de qualité pour profiter pleinement de leur apport énergétique et maintenir leur métabolisme.
Premièrement, il faut une bonne fosse avec au moins deux mètres de profondeur sur une superficie d’un bon quart d’hectare minimum. Dans un second temps, la présence de blocs rocheux est essentielle car la pavasse abrite beaucoup de nourriture naturelle comme divers gastéropodes et des écrevisses dont les grosses carpes sont friandes. Les herbiers constituent le troisième paramètre essentiel à la présence de grandes carpes ; que ce soit des jussies rampantes, des potamots, des nénuphars ou des myriophylles. Ces différentes algues constituent une très bonne cachette pour les petits organismes et donc contiennent beaucoup de micro-nourriture que les carpes adorent, gammares, larves diverses, zooplancton, phytoplancton…
Si vous trouver un poste rassemblant tous ces facteurs, c’est à dire une bonne profondeur d’eau en dehors du courant, la présence de caillasse et une bonne dose d’herbiers, vous tenez potentiellement une zone à gros poissons. Les quelques postes proches de mon domicile où j’ai pris des reines ont tous ces points communs, sans exception. Les postes phares se divisent en trois catégories.
- Les tas de bois hébergent souvent des géantes, ils sont très recherchés sur la Loire, sans être de réels postes phares. Ils sont aussi très fréquentés par les faux-bourdons et les ouvrières, par conséquent il est plus difficile d’y prendre une grande carpe au vu du volume de poissons abrités. Cependant un gros volume de tas de bois avec beaucoup d’eau et en dehors du courant peut réserver de belles surprises.
- Les digues, quand elles abritent les différents paramètres nécessaires à la tenue et à l’alimentation des gros poissons cités ci-dessus. Elles sont souvent urbaines et par conséquent régulièrement exploitées ; cela-dit, il est tout à fait possible d’y réaliser des parties de pêche honorables et d’y débusquer une grande carpe. Les pieds de digue, souvent plus profonds et d’un substrat varié sont très fréquentés par les carpes. Les postes les plus prolifiques pour les gros poissons sont les avals de déversoirs crées par l’éboulement des digues. Sur ces zones, le brassage d’eau apporte des flux d’oxygène très prisés des bêtes à écailles. Généralement ces lieux contiennent de légers contre-courants ou même des eaux quasi-stagnantes, qui seront à exploiter en premier ordre.
- Les épis, ces derniers sont, selon moi, les meilleurs postes à gros poissons. Un épi est un ouvrage halieutique crée de la main de l’homme ; c’est une excroissance de la berge qui servait jadis sur la Loire (et sur d’autres fleuves et rivières) à casser le courant pour faciliter les manœuvres de navigation. Par chez moi ils servaient à charger les barges après extraction du sable. Les épis ont des formes et des structures diverses. Ceux que je pratique sont en forme de pointe, bâtis sur une structure en bois et consolidés avec de gros blocs rocheux. Ils détournent le cycle du courant et abritent par conséquent une faune et une flore aquatique à leur aval. Ces structures répondent parfaitement aux différents paramètres exigés par les reines, ce sont des postes clef pour héberger ces grosses carpes exigeantes.
Comment les aborder ?
Vous connaissez maintenant les comportements et les zones susceptibles d’héberger ces poissons corpulents. Il faut bien se mettre en tête qu’ils ne nous ont pas attendus pour croître et se stabiliser au maximum de leur capacité génétique. Il y a maintenant des années que ces grosses feignasses sont fixées sur cette nourriture naturelle abondante et au vu du peu de carpistes présents sur la Loire (hormis certains secteurs faciles d’accès), il est fort probable qu’elles n’aient jamais goûté à une bouillette.
A mon sens il n’est pas nécessaire de pratiquer un ALT sur plusieurs semaines, quelques pré-amorçages sur une base d’une à deux semaines suffiront amplement à raison de deux à trois kilos de billes par campagne de distribution. L’idée n’est pas de nourrir intensément les carpes, mais plutôt de leur proposer une alternative régulière à leur nourriture naturelle. Leur paresse les amènera tôt ou tard à aspirer vos offrandes plus faciles à gober que des écrevisses, des corbicules ou de la micro-nourriture. Certaines reines sont de véritables poissons opportunistes qui se goinfreront très vite des bouillettes, d’autres sont très discrètes et prendront beaucoup de temps avant d’accepter cette nourriture.
Des bouillettes de bonne qualité nutritive et digestive sont indispensables. Il faut souligner que la facilité digestive des appâts est importante car malgré le fait que les carpes de rivières ont un système digestif à toute épreuve (au vu des absorptions de corbicules, gastéropodes, écrevisses et autres proies rigides) des billes digestes marqueront le coup. Utiliser des « crap baits » non nutritives et mal digérées dans cette approche reviendrait à se tirer une balle dans le pied et ruinerait tous vos efforts en amont.
La zone amorcée est assez réduite (les trous de Loire font rarement plus d’un hectare) aussi est-il intéressant d’arroser toute la zone et de réduire au fur et à mesure sur les spots piégés prédéfinis. J’ai tendance à employer des appâts de 24 mm et 20 mm, bien séchés et donc d’une bonne dureté pour contrer les assauts des écrevisses et des petits blancs. J’entends souvent dire que les carpes préfèrent des billes molles plus faciles à broyer ; c’est peut-être vrai, mais dans le cas présent, les billes molles seront « torchées » par les bêtes à pinces et les petits poissons blancs avant qu’une carpe ne puisse l’aspirer. N’oublions pas qu’une carpe peut développer une très grande pression entre ses dents pharyngiennes et sa plaque de mastication, quatre à sept fois supérieure à une mâchoire humaine ! Pour exemple, j’amorce systématiquement les canaux avec des billes dures comme des cailloux pour contrer l’omniprésence des matous et cela ne gêne pas les carpes, bien au contraire. Au moins l’amorçage a le temps de faire son effet. Sur les secteurs où elles ont déjà croisé le fer, une approche minimaliste sera plus adaptée. La méthode la pêche à l’assiette sur une zone bien ciblée semble porter ses fruits
Côté matériel, du solide, du solide et surtout du solide ! Il est impérativement nécessaire d’employer des matériaux aptes à arrêter les rushs les plus puissants. Les carpes ayant goûté et apprécié vos billes, il est inutile de faire dans la finesse, c’est une vraie pêche de rivière où rien ne doit être laissé au hasard. Il serait dommage de perdre une reine après tous les efforts mis en place par la négligence d’un hameçon « en mousse » ou un corps de ligne trop light.
Conclusion
Voilà, vous savez tout sur les différentes démarches à adopter pour croiser ces grandes carpes de fleuve. Pour ma part après une bonne dizaine d’années à pêcher le « tout-venant », je suis tombé amoureux des Reines de Loire et je sélectionne régulièrement mes postes en fonction de leur présence potentielle. L’espoir de toucher une de ces grandes carpes est mince quand on aborde le fleuve au hasard, mais avec la sélection des postes et en employant les bonnes méthodes, ce rêve est accessible. C’est une approche galvanisante et stimulante, avec son lot de surprises. La capture d’un spécimen en Loire est un moment unique dans la vie d’un pêcheur. Si l’idée vous tente, je vous souhaite une franche réussite !