J'ai effectué mes premières véritables pêches d’obstacles dans une petite gravière de 6,5 hectares. J’abordais ce plan d’eau en sessions de deux ou trois nuits au cul des cannes. Les poissons se trouvaient généralement sur trois spots très précis et en sortaient qu’à de brèves occasions. Les carpes étaient réfugiées sous des arbres immergés et leur faible concentration leur permettait de rester sur place sans s’éloigner des zones protectrices et nourricières. Pour déclencher des touches, les montages devaient être placés le plus près possible des branches. D’ailleurs c’était flagrant, rien n’était propre à pêcher à moins de trente centimètres du bois noyé. Le sol était si nettoyé, retourné que le gravier était blanc. Lors de mes petites sessions je plaçais uniquement deux cannes contre des branches. J’ai réussi à capturer pas mal de poissons en limite des d’obstacles mais toujours en faisant preuve de méthodologie et de responsabilité.
Une grande responsabilité
L’essentiel de cette discipline réside dans deux points fondamentaux : un matériel sans faille dans lequel je vais revenir, et une présence OBLIGATOIRE au pied des cannes. Qu’il fasse jour, nuit, soleil ou qu’il pleuve, vous n’avez qu’à tendre le bras pour saisir un blank et prendre contact ; cela doit TOUJOURS être le cas. C’est une nécessité pour être certain d’être le plus réactif possible, tendu comme un ressort ! Vous constaterez par vous-même que cette constante vigilance devient une pression nerveuse épuisante. Même la nuit, vous ne devrez dormir que d’un œil la porte grande ouverte et les cannes dans l’abri ! Qui dit rapidité de réaction dit capacité infaillible pour détecter les touches. Pour cela je vous préconise des modèles de détecteurs dont la sensibilité est réglable et fiable. Je possède des modèles très pratiques à la sensibilité « intelligente » qui s’adapte aux conditions : vent, vagues, courant, pêche en bateau.
Le matériel
Ma ligne en tresse est une 100% Dyneema de 24 à 28 centièmes sans tête de ligne. Je place simplement un mètre cinquante de Cling-On Leader de 65 lbs en guise de « coule ligne » protecteur. Quand ma ligne est correctement tendue, je donne approximativement un tour de bobine de bannière pour que les derniers mètres puissent couler. Le scion de la canne est toujours pointé en direction du montage et je bannis les angles de côté et de hauteur en privilégiant une pose simplement parallèle au sol. Donc désolé pour les maniaques des cannes photogéniques, ici on recherche uniquement l’efficacité !
Le frein libre
J’active le débrayage qui prend tout son sens dans ce contexte, ou bien je desserre le frein des moulinets qui ne possèdent pas ce système. Mon bas de ligne est en tresse de 35 lbs, peu importe qu’elle soit rigide ou souple, elle doit être résistante. L’hameçon est plutôt du genre pépère fort de fer. Il est vrai qu’un petit hameçon reste bien ancré dans la bouche des carpes mais dans nos circonstances rien ne vaut une grande taille. Suivant les marques les numéros 1 à 4 sont parfaits et j’ai toujours cette préférence pour les hampes courtes et pointes rentrantes. Le grammage du plomb est très important. En effet les évènements vont s’enchaîner tellement rapidement que la pointe de l’hameçon doit impérativement se planter instantanément et le plus profondément possible dès que la carpe lèvera le plomb, c’est-àdire une seconde avant que vous preniez le contact. Pour éviter l’effet de décrochage « à la touche » faute de lest, je vous oriente vers des plombs de 200/230 grammes.
Davantage d'adrénaline
Lors de ma première véritable expérience, c’est Anthony Grué qui m’accompagne, et je dois bien avouer que dans ces circonstances se retrouver à deux est plus pratique et rassurant. Le montage est strictement le même que pour mes pêches habituelles: un bas de ligne au cheveu posé sur le fond. Les matériaux sont les plus solides qui existent et de couleur semblable à la grève par souci du détail de discrétion. Même si c’est loin d’être totalement valable en eau claire, cela renforce ma confiance. L’appât est tout simplement une grosse bouillette de 24 millimètres sortie du paquet. L’ensemble est déposé dans un peu plus de deux mètres d’eau dans les quelques mètres carrés recouverts partiellement de feuilles mortes. Ce site est en forêt et les arbres sont gênants pour épuiser et manier mes dix pieds rétractables. Précédemment nous avons pris le temps d’échanger et de repérer pour être certains qu’il était possible d’y extirper une carpe. L’issue du combat doit être et sera le fond du filet. Nous sommes en début d’après-midi au mois de mars et profitons d’un soleil bien chaud. Nous observons discrètement les carpes vivre dans leur environnement. Seulement trois petites sont visibles et naviguent en empruntant le même chemin. Les autres sont cachées, calées dans l’obscurité des sous-rives et des troncs enchevêtrés absolument inaccessibles. Les peupliers tombés là depuis quelques décennies ont préservé leurs écorces, l’eau les conserve pour le plus grand bonheur de notre imaginaire et de la biodiversité aquatique. La grosse bille marron est bien visible mais aucun poisson ne s’en préoccupe, personne ne se nourrit à cette heure dans les parages.
Phase 2
Je passe à la phase deux du plan pour tenter de rameuter du monde. Je lance des micro-morceaux de billes et des petites boulettes d’un mélange de stickmix détrempé qui suscitent aussitôt l’intérêt des rotengles. Les petits « ploufs » des appâts qui tombent dans l’eau en ameutent de plus en plus et bien souvent, tout est mangé avant d’atterrir sur le fond. Soudain surviennent les brèmes. Sans ménagement elles passent aussitôt en phase d’alimentation autour de la bille piégée. C’est pour cette raison que je pêche avec une grosse bouillette car le fait de capturer une brème ou de relever et reposer la ligne provoque souvent un stress chez les carpes recherchées et augmente le temps nécessaire pour les faire venir.
Ça bouge !
Les petites carpes commencent à s’approcher du point chaud. Nous observons ce spectacle avec des yeux d’enfants. La canne en main je reste le plus concentré possible, comment ne pas l’être dans ces conditions ? Une petite carpe a commencé par prendre une bouchée de particules. J’arrête alors de jeter mon amorçage car il y a suffisamment de monde au fond de l’eau. Les petits blancs ne sont plus très nombreux. Nous attendons depuis trente minutes. Et soudain apparaît une grosse carpe. Sortie de sa cachette obscure, elle est bleu foncé, épaisse, et ne fait qu’un seul passage à vitesse réduite. Une poignée de minutes après une nouvelle se dévoile. La tension monte, c’était incroyable. Les petites carpes ne s’attardent plus sur le fond mais elles continuent de tourner autour en observant une forme d’ordre hiérarchique. Au deuxième passage une des deux patronnes se place aussitôt en position pour chercher pitance, sans aucune crainte. Deux, trois aspirations, à quelques décimètres de ma bille et la voilà repartie. Il ne devait plus rien y avoir à manger sur le fond car les brèmes et les rotengles ont fait une rapide razzia.
Ça chauffe
Je suis contraint de reculer pour mieux anticiper le combat qui s’approche, mais je ne vois plus rien à cause d’un peuplier fiché en plein devant mon écran. Anthony me tient au courant de l’évolution. Soudain il me lance : « Vas-y Pierro, monte monte monte ! » Il vient de voir un poisson aspirer ma bille mais qui tarde à prendre la fuite. À ses mots je monte ma canne sans panique et prends contact avec la masse. Dans ce contexte il est essentiel d’être sans pitié. Plus on est rapide, plus on augmente les chances d’écourter le combat. La canne cintrée et le frein serré je monte et me laisse guider par la voix de mon ami. En cinq secondes et sans accorder un centimètre de ligne, la carpe est dans le filet, elle n’a pas eu le temps de comprendre ce qui vient de se passer. Nous explosons de joie car ce moment de vie qui vient de se passer dans ce réduit est absolument incroyable et inédit pour moi.
Quelle intensité !
C’est une magnifique miroir de 23 kg parfaitement préservée qui rend honneur à notre travail. Voilà comment il est possible de pêcher sérieusement dans les obstacles. J’ai réitéré plusieurs fois dans cet endroit et les autres en étant seul, et j’ai également réussi à prendre quelques autres poissons sans aucun encombre. L’essentiel est de reprendre point par point tous les éléments et d’être certain que sortir un poisson est possible et sans danger pour lui. La pêche des obstacles à courte ou moyenne distance est une discipline usante par sa constante vigilance tant que le montage est dans l’eau. Mais elle est aussi très excitante et devient une drogue tellement elle peut être efficace. On pourrait facilement occulter le mode session. Parfois il m’arrive même de partir en début de nuit pour tenter de prendre un poisson. Mais je me fais souvent avoir par des fausses touches déclenchées par des carpes qui passent dans ma tresse. C’est bien le signe que les poissons peuvent être en nombre et actifs la nuit dans ces secteurs. Mais la nuit vous le savez, les sensations sont décuplées…
Premier contact
Le contact doit se produire à la moindre alerte, quitte à ferrer dans le vide. La nuit, je m’empêche de dormir du côté opposé des cannes pour être certain d’être optimum, et ça marche. Le secret c’est d’aller vite, de surprendre le poisson en exerçant une pression suffisamment intense pour le dévier dès les premières secondes. Je parle d’une pression et pas d’un ferrage brutal qui casserait la ligne ou décrocherait/blesserait la carpe. C’est souvent ce type d’erreur qui est reproché aux novices, surtout quand elle se répète. Sachez que si vous ratez un poisson dans les branches une fois, c’est une de trop. Vous aurez quelque chose à modifier, la technique n’est pas bonne. Réfléchissez mais ne reproduisez pas bêtement la même erreur. Plus vous serez rapide, plus cela fonctionnera car à l’instant où le poisson se pique, il ne partira pas forcément dans l’obstacle. Il réagit plutôt par des coups de tête pour se débarrasser de l’hameçon ou part en « fuite réflexe » tous azimuts. Évidemment, quand on pêche de cette manière nous devons nous montrer responsables et intransigeants envers nous-même pour éviter le risque de mutiler un poisson. Je parle d’éviter car personne n’est parfait et une erreur arrive à tous. Mais depuis que je pêche les obstacles il ne m’est pas arrivé de casser ou de perdre un poisson dans les branches car j’ai respecté à la lettre quelques règles évidentes:
- limiter le nombre de cannes à une ou deux lorsqu’on pêche un obstacle ;
- privilégier une pêche à deux pour être plus efficace en se relayant;
- pêcher un obstacle de face ou dans un angle sécurisé qui empêchera le poisson de se réfugier dans une branche à gauche ou à droite ;
- exercer une pression maximale dès le premier bip quitte à ferrer dans le vide ;
- ne jamais quitter sa canne même pour aller pisser. Il faut préférer la retirer pour la replacer ensuite (la canne bien sûr!);
- préférer pêcher canne en main pour être totalement réactif;
- repérer un endroit sécurisé pour épuiser le poisson rapidement;
- utiliser une canne parabolique ou dont le nerf est absorbant pour contrer les premiers rushs et suffisamment solide pour « porter » le poisson au filet;
- utiliser de la tresse, un gros hameçon et des montages que vous connaissez vraiment bien. Ce n’est pas le moment de tester les nouveautés;
- rester concentré quoi qu’il arrive.
J’ai ainsi réussi de belles pêches. Mais les carpes étant peu nombreuses, elles ont rapidement compris que les zones devenaient trop dangereuses et se sont bien gardées d’y pointer le bout de leurs barbillons; pêcher les extrémités des branches n’était plus valable. Il était temps d’aborder le site différemment. J’ai choisi l’option de traquer les poissons à vue de manière extrême, dans leur nid, au cœur des arbres. Quelle expérience inoubliable.