Tout le monde connaît la pêche dite « fine » et la possibilité d’utiliser le bateau amorceur. Personnellement, et sous l’influence anglaise, j’ai très tôt pêché assez fin. En revanche jusqu’il y a une quinzaine d’années, j’étais très peu attiré par les bateaux amorceurs. J’ai bien changé de ce point de vue car non seulement je suis devenu un aficionado mais en plus j’ai beaucoup de mal à m’en passer. Depuis quelque temps, j’associe de plus en plus la pêche fine à deux cannes et l’utilisation du baitboat. Ces deux outils sont complémentaires et leur association est diaboliquement efficiente.
Aux sources de la méthode : Laurent Valette
Je ne connais pas intimement Laurent Valette mais j’échange de temps en temps avec lui : au détour d’un salon, d’un message… C’est lui et Mickaël Le Poursot qui ont mis en avant la technique de la pêche fine à deux cannes. Comme Laurent l’explique très bien dans son ouvrage Une vie de pêcheur de carpes, on gagne un temps précieux et une efficacité incroyable en ne pêchant qu’à deux cannes. L’objectif est de concentrer sa pêche et son amorçage sur un périmètre restreint et de tenter de mettre en place une réelle concurrence alimentaire, de façon que les carpes perdent leur légendaire méfiance. Laurent prend un soin très particulier à sonder chaque recoin de son poste de façon très rigoureuse et très précise. Pour parfaire le tout, il utilise des appâts de petit diamètre de manière à stimuler au maximum les poissons.
Complémentarité
Il faut préciser que je n’ai pas une utilisation unique, exclusive et « fermée » du bateau amorceur. Je ne me contente pas simplement de charger les trappes de mes montages et des appâts dans le simple but d’aller le plus loin possible et de larguer au milieu de nulle part. La seule exception réside dans le cas suivant: quand j’ai un « feeling », un pressentiment, il peut m’arriver d’agir totalement au hasard mais ce sont des occasions rares. La seule réflexion possible est de dire qu’on agit de la sorte sur les endroits soumis à une forte pression où les pêcheurs réfléchissent beaucoup. Quoi de mieux pour contrer ce phénomène de « super réflexion » que de n’en avoir aucune et de lancer ou de larguer n’importe où et au hasard. C’est la stratégie de la « non-stratégie ». Mais le plus souvent j’essaye de mettre en place une véritable stratégie. Et pour cela l’utilisation et la relative maîtrise du bateau amorceur ne font pas tout. Tenter de bien pêcher, c’est connaître le lieu de pêche, son histoire, ses spots. Même si vous possédez un engin très sophistiqué avec écho et GPS embarqués (voire caméra subaquatique pour certains modèles); il faut faire feu de tout bois : les témoignages, géoportail, les cartes IGN, l’observation de l’eau pêchée, les prévisions météo, mais aussi utiliser sa canne à marqueur pour vérifier ou affiner ce que nous livre la technologie. Nous devons utiliser la technologie mais ne pas en être esclave.
Même si vous avez confiance en votre bateau amorceur et en son échosondeur, rien n’interdit la canne à sonder. Trop souvent, on observe une opposition quasi systématique entre les modalités manuelles (canne à sonder et canne à spod) et les bateaux amorceurs (sondeur embarqué et trappes de largage). En effet, ponctuellement les deux modes opératoires peuvent entrer en concurrence, notamment spatialement (pêche à trop longue distance par exemple). Mais très vite, on peut inverser la tendance aussi bien au niveau des idées que de façon empirique. En effet, canne à sonder et baitboat sont par essence complémentaires. J’ai pris cette habitude de façon automatique : je commence par dégrossir la zone de pêche avec la canne à sonder (rupture de profondeur, détermination des zones dures et des zones molles…). Une fois ce premier repérage effectué (très souvent avec un carnet et un crayon à papier), j’affine ma connaissance des spots avec le bateau amorceur et mon échosondeur couleur. Ainsi, non seulement je confirme les grandes tendances mais j’obtiens une précision très importante. Au final je me retrouve très souvent avec de nombreux spots à essayer et il faut faire un choix stratégique en fonction des différents paramètres : époque, pression de pêche, météo… On obtient une indéniable complémentarité: on peut même pousser le processus plus loin en enregistrant les spots via un GPS et utiliser le bateau amorceur pour aller larguer votre marqueur sur le spot choisi. De cette façon, vous pourrez confirmer et encore affiner les informations que vous donne déjà votre échosondeur. On voit, de fait, les allers-retours possibles entre canne à sonder et baitboat ; les deux dispositifs s’amendant l’un l’autre. Afin de faire des économies d’énergie et pour éviter d’activer toute la logistique à chaque voyage, on peut marquer sa ligne avec des élastiques et/ou des feutres spécifiques (type marqueur de pêche au coup). Il en va de même pour la dépose des lignes : au lieu de lancer de façon systématique, on peut alterner l’utilisation du lancer classique et la dépose en bateau amorceur. On pose et on alimente le spot en simultané : l’impact du dérangement du spot est ainsi limité puisqu’on fait tout en une fois. La précision est accentuée et optimisée. La possibilité d’avoir deux trappes est ici un luxe car on obtient alors une capacité potentielle d’amorçage importante mais aussi la possibilité de déposer nos deux lignes en même temps ou du moins lors du même déplacement de votre baitboat.
On s’aperçoit ici que le bateau amorceur est un formidable outil qui permet d’upgrader le fonctionnement de la stratégie de pêche à deux cannes tant du point de vue de la discrétion que de l’acte de pêche et d’amorçage. Il va sans dire que ces données sont soumises à la cohérence des actes déployés : tendre des lignes à plusieurs centaines de mètres sur un petit plan d’eau n’est pas envisageable. Cet exemple caricatural montre que le bateau amorceur doit s’employer de façon logique et raisonnable. C’est un outil formidable qui ne doit pas servir à nuire aux autres pêcheurs et/ou aux poissons.
Rapidité d'action
De même, pêcher à deux cannes est beaucoup plus efficient que d’en mettre en place 4. C’est beaucoup plus long et bruyant. L’utilisation du bateau amorceur et de deux cannes permet là aussi d’optimiser les choses. Pêcher à 4 cannes coûte aussi plus cher et est plus contraignant. Même si utiliser un bateau amorceur demande plus de préparation en amont (chargement des batteries et de la télécommande notamment), le but est de gagner du temps au bord de l’eau et donc en action de pêche. Déposer ses cannes en même temps et rapidement permet aussi d’augmenter son capital confiance : on ne se demande plus si le montage est emmêlé ou si on a lancé très précisément au bon endroit. Le bateau amorceur permet donc un gain de temps matériel et une assurance psychologique et un pêcheur en confiance est un pêcheur efficace !
Activer la concurrence alimentaire
Dans la pêche à deux cannes, le but est de concentrer l’amorçage sur un spot gagnant et de mettre en place une véritable concurrence alimentaire. Plus vous concentrez des appâts, plus les carpes risquent de rentrer en concurrence : les petits appâts (billes de 10 à 15 mm) vont accélérer ce phénomène. Le bateau amorceur du fait de ses capacités et de sa souplesse d’utilisation va encore renforcer le dispositif. Chaque fois que vous déposez un montage, non seulement vous êtes très précis mais vous pouvez alimenter aisément le spot avec des petits appâts voire de très petits appâts voir des farines ou tout ce qu’on peut imaginer… Le tout avec une plus grande discrétion. Plus de précision de sondage, dans l’amorçage et le placement de ligne semble donc possible pour avoir une pêche encore plus rentable et encore plus efficace. Il m’est arrivé, après un double départ, de ne replacer qu’une seule canne sur les deux car les touches étaient trop rapides ! On voit qu’une réelle cohérence existe dans l’usage conjoint du bateau amorceur et de la pêche à deux cannes. Mathématiquement la probabilité de prendre du poisson est plus grande avec 4 cannes mais en pratique on optimise sa pêche avec deux cannes et un baitboat. On peut imaginer avoir une troisième canne prête à pêcher pour encore optimiser le temps de pêche. Pêcher à deux cannes permet aussi une plus grande latitude financière et de mettre l’argent dans les appâts et dans un bon bateau amorceur. Toutes les remarques sont fondées sur des expériences de pêche et pas sur un militantisme aveugle. À vous d’essayer !
Interview de Laurente Valette
Laurent ne pêche qu’à deux cannes depuis 2007, une stratégie payante qu’il ne peut se passer, comme il peut l’expliquer dans son livre. Son emploi du temps ne lui permet pas de réaliser de longues sessions, il a dû s’adapter à cette situation en réalisant des pêches rapides. L’approche à deux cannes fut un choix payant.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Laurent Valette, j’ai 54 ans, régleur en injection dans une entreprise de plasturgie. Je travaille uniquement les week-ends et jours fériés en poste de 2×12 heures depuis plus de 23 ans. J’ai donc construit ma vie professionnelle en rapport avec le temps que je désirais passer au bord de l’eau à la poursuite des carpes. C’est donc un choix délibéré que de travailler le week-end afin de bénéficier de 5 jours par semaine pour être au bord de l’eau… Je pêche uniquement les carpes depuis plus de 35 ans même si ces dernières années j’ai succombé parfois à quelques séances de pêche aux leurres… J’ai eu le privilège d’être sponsorisé durant quasiment toute ma vie par de très grandes marques, et j’ai été sous contrat rémunéré durant plus de 12 ans… Toucher un salaire pour aller au bord de l’eau sans d’autre souci que de capturer des carpes reste un souvenir indélébile et une aventure humaine exceptionnelle.
Te rappelles-tu de ta première capture de carpes ?
Évidemment que je me souviens de ma première capture de carpes, aux méthodes anglaises. Je peux même te donner la date et l'heure. Le 11 juin 1986 à 18h45, une miroir de 11 kg sur une grande gravière près de chez moi.
Depuis quand pêches-tu à deux cannes ?
Je pêche uniquement à deux cannes depuis la saison 2007 et pour rien au monde je reviendrai à pêcher à trois voire quatre cannes même si la législation me l’autorise… Quant à l’utilisation d’un bateau, amorceur ou pas, c’est contraire à mes principes et je n’y dérogerai pour rien au monde. J’ai un bateau évidemment pour me déplacer sur les grandes étendues d’eau mais ça s’arrête là.
Si tu es d’accord on peut dire que tu as un style très anglais : pourquoi ?
Lorsque j’ai débuté en 1986, il n’y avait que les Anglais pour m’indiquer la marche à suivre puisqu’ils étaient à l’origine et les précurseurs de ces nouvelles méthodes de pêche et surtout et avant tout d’un état d’esprit. Par la suite, je n’ai été sponsorisé que par des marques anglaises donc oui je peux affirmer que j’ai un style anglais dans l’attitude et l’état d’esprit. Je me suis encore plus rapproché des Anglais lorsque j’ai développé la pêche en finesse.
Un message pour les jeunes ?
Ne soyez pas prêt à faire n’importe quoi au bord de l’eau pour vous faire remarquer par un éventuel sponsor, ayez une attitude irréprochable envers les poissons et les autres pêcheurs, faites selon vos ressentis et vos convictions… et surtout et avant tout, prenez du plaisir à être au bord de l’eau sans pour autant tout sacrifier, que ce soit votre vie professionnelle, sentimentale ou familiale.