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Pêche de la carpe en stalking : la traque en grands lacs

Dans notre imaginaire le stalking s’applique davantage à de petites eaux closes en pêchant à vue et à courte distance. Pourtant cette approche peut être pratiquée absolument partout en ayant un minimum de connaissances techniques et peut s’avérer redoutable dans les grands espaces.

Traquer des poissons repose selon moi sur l’idée de partir sur une durée courte comparativement aux standards habituels et avec un minimum de matériel pour être très mobile et réactif. Cela impose d’oublier le concept des sessions avec son encombrement, à moins d’avoir un camp de base. Après de nombreuses expériences pour pêcher efficacement en stalking, j’ai dû faire des choix de matériel et m’arrêter sur des valeurs de référence fiables. Je n’utilise qu’une seule canne que je connais bien depuis des années, une 10 pieds rétractable d’une puissance de 3 livres qui est passe-partout et très peu encombrante. J’emploie n’importe quel moulinet mais généralement garni de tresse car les poissons sont souvent proches des obstacles. Le choix le plus déterminant se situe au niveau des montages car ce sont eux qui vont présenter l’appât et qui doivent susciter le plus rapidement possible la curiosité des poissons. Je ne veux pas que ça traîne quand je pêche de cette manière. Si l’eau est trouble mais que je pense que les poissons sont là j’aime me dire que l’appât doit presque aussitôt être vu. Pour cela j’ai tout d’abord choisi mes montages flottants. Mais j’ai rapidement été très déçu par les décrochages en série car tout était très traditionnel et approximatif, je décrochais trop souvent lors des premières secondes. J’avais entendu parler du chod-rig mais ne l’avais pas encore sérieusement utilisé. Alors un après-midi printanier, je me suis lancé en faisant enfin mouche.

Le chod-rig est mon montage "roi" pour la pêche au stalking. Il est tout de suite visible au fond de l'eau. 
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Le choix déterminant du montage

C’était il y a quatre ans, lors de ma première sortie en grand lac de l’année. Durant tout l’hiver, j’avais cogité sur mes premières pêches à venir. Je voulais tout d’abord faire du stalking dans un fond de baie que je connais bien pour déclencher au moins une touche. Lecteur assidu des magazines, j’avais déjà vu ce fameux montage « chod-rig ». J’avais déjà pêché avec l’année précédente mais certainement pas aux bons endroits. Je devais me sortir de mes vieilles idées et recommencer autrement, par le montage du moment qui selon moi serait adapté pour plein de raisons. Le chod-rig permet de positionner une pop-up à quelques centimètres du fond peu importe le substrat. Donc même s’il y a de l’herbe, la bouillette est visible et tout reste pêchant. Après avoir déposé mon fils à l’école, je fonçais vers la petite baie en question. Malheureusement cette fois les poissons n’étaient pas là. J’ai continué mon chemin au fruit du hasard pendant quelques heures sans rien trouver, jusqu’à ce que je tombe sur LE truc pas ordinaire. En exploration sur la bordure d’une berge totalement banale je viens de découvrir un rassemblement de poissons.

Une miroir en pleine forme sortie en quelques minutes de son groupe.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Observation

L’eau encore très fraîche qui jusqu’à maintenant était translucide se colorait soudainement ici en café au lait. J’ai pris quelques mètres de hauteur sur un solide saule pour voir ce qui se passait. C’était un rassemblement de peut-être cent-cinquante à deux cents poissons tous occupés à tourner en rond sur un parcours plus ou moins précis. Certains se séparaient, d’autres apparaissaient depuis le large et… deux nuages de boue marron très foncé sortaient à vingt-cinq mètres de la berge. Je fonçais prendre mon sac à dos et la canne pour profiter de l’aubaine. En quelques minutes tout était prêt. J’avais aussi tenu à modifier le montage en remplaçant le monofilament rigide par une tresse gainée plus solide mais tout aussi raide. Le court bas de ligne était fixé entre deux perles sur un mètre cinquante de Cling-On Leader de 65 livres. La spécificité de cette combinaison de matières tressée est qu’elle est lourde et coulante bien qu’elle soit dénuée de plomb. J’apprécie cette souplesse car lorsque je pêche canne en main ou ligne détendue je suis certain que tout épouse le fond. La pop-up orange était propulsée en plein sur la première tâche bouillonnante. C’est la première fois que j’assistais à un tel rassemblement et j’aurais presque préféré passer mon temps à observer leur manège plutôt qu’à pêcher. Les poissons n’étaient pas très gros. La majorité étant de petite taille et les plus imposants avoisinaient tout de même les vingt kilos.

Le stalking en lac peut être une option dès le début de saison, à condition de connaître les zones refuges ou de passages car la météo est parfois capricieuses et les poissons encore bien timides.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Come-back

Quelques minutes après l’atterrissage, le montage est parti comme une balle. Je ramenais une magnifique miroir au ventre très arrondi d’un peu moins de vingt kilos. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas vu cette morphologie sur ce lac et certains souvenirs heureux de mes débuts sont réapparus. Je prends quelques photos et relance sur la même tâche ma pop-up décollée de quelques centimètres. Je n’attends pas cinq minutes pour glisser une autre belle miroir. Vu que la situation s’y prête, c’est le moment de faire un test. Je change de bouillette et j’en mets une rose au même endroit. J’attends mais rien ne se passe. Je tire doucement plusieurs fois pour changer la place mais il ne se passe absolument rien. Je relance deux fois sans rien provoquer. Je change de bouillette et replace la orange qui repart presque aussitôt tombée dans l’eau. Je capture une commune de plus de quinze kilos qui repart aussitôt dans son élément. Il ne me reste que très peu de temps pour pêcher et je tente encore un lancer. Après une poignée de minutes le dernier combat s’engage et se clôture avec une autre très belle ventrue aussi parfaitement piquée que les précédentes. À ce moment-là mon bonheur était intense. En quelques heures de pêche j’étais parvenu à capturer de véritables poissons de lac et je prenais aussi confiance en cette redoutable arme de traque qu’est le chod. Je ne compte plus les poissons capturés avec depuis, en le modifiant à volonté. Je change la matière du bas de ligne, la taille des hameçons… Je garde simplement à l’esprit d’être toujours le plus discret possible tout en étant certain d’être capable de remonter la carpe.

Je ne me charge pas inutilement en appâts, mais j'emporte au moins deux couleurs différentes au cas où, cela peut faire la différence.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Ce qui m’a permis de réussir ma pêche ce jour-là, c’est la réactivité. Auparavant, j’aurais certainement déposé deux cannes qui auraient provoqué deux fois plus de bruit, j’aurais sans doute amorcé mais cela aurait très certainement contribué à faire fuir les poissons. Je suis resté le plus basique possible, avec une seule canne de dix pieds, montée avec un petit moulinet garni de tresse. J’avais également bien fait de prendre des pop-up de couleurs différentes car je suis convaincu que les carpes détectent plus facilement certaines nuances. Lorsque je traque les poissons je n’utilise aucun amorçage, ou alors en quantité minime, en lançant quelques billes à la main pour provoquer une réaction chez les poissons visibles. Mais attention, je lance des bouillettes une par une en dernier recours, simplement pour tenter de déclencher, car sur bien des étendues, il est des bruits qui font fuir…

Même en lac, la traque des carpes nous autorise à nous déplacer léger du bord en en bateau. 
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Du bord ou en bateau

Certains lacs se prêtent plus volontiers au stalking. Mes plus belles pêches ont été réalisées en lacs de montagnes. Généralement je passe mon temps à chercher les spots et les poissons sur les bordures depuis mon bateau avec mes lunettes polarisantes et mon échosondeur. Je marque les points chauds les plus intéressants au GPS pour y revenir plus tard ou à une autre saison. Parfois les poissons se concentrent sous de tout petits obstacles sans qu’on parvienne à les voir, même en eau claire. Pour lever le doute je n’hésite pas à tendre ma canne pour quelques minutes après avoir pris le temps nécessaire pour être certain de pouvoir effectuer un combat sans risque de perdre un poisson. Lorsque je suis en action de pêche dans mon bateau, ma canne est généralement dans ma main pour être pleinement réactif. Les poissons étant souvent dans les obstacles ou leurs abords, c’est votre réaction qui sera déterminante. Selon la topographie du site et son accès, j’opère aussi bien du bord que du bateau en le maintenant par un poids d’une vingtaine de kilos et d’une corde de vingt-cinq mètres. Je dépose ou je lance mon montage selon la possibilité. Je ne perds pas de mon esprit qu’un spot peut être visité à des horaires précis, ou même être privilégié selon les saisons ou un niveau d’eau propice. C’est pour cette raison que je ne m’attarde pas plus d’une heure sur chaque site. Par ailleurs, j’essaie d’être raisonnable dans mes prises sur chaque spot pour tenter de garder des résultats plus réguliers. Après une capture j’essaie donc de changer de spot pour faire baisser la pression, j’y reviens quelques heures après, ou le lendemain.

Un poisson de 25 kg piégé en plein jour à une seule canne.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Ne jamais lâcher

Quand ça marche, cette pêche est surprenante, on devient carrément accros tellement c’est simple. Alors que les autres pêcheurs se cantonnent à attendre sur la bordure, vous devenez soudain aussi libre qu’un pêcheur de carnassier sur sa barque. Et quand vous savez où se trouvent les poissons à l’avance, l’adrénaline est constante. J’ai déjà réalisé un beau résultat sur un lac de montagne de cette manière. Sur mes dix jours de pêche, j’ai pris des carpes chaque journée. Cela faisait quelques années que je parcourais les berges d’un site grandiose à l’eau bleue sans jamais parvenir à trouver la moindre carpe. Et puis une année, j’ai enfin découvert différents spots qui abritaient quelques carpes, dont un mémorable. Il se prêtait idéalement à la traque car les touches pouvaient être rapides et faites à courte distance. Combien de fois m’étais-je attardé devant ces buissons qui plongent dans l’eau ? Combien de fois j’en avais fait le tour en sondant les moindres détails ? Mais aujourd’hui, les carpes étaient bien visibles, tapies dans leur abri. La seule chose qui était différente par rapport à d’habitude, c’était le niveau d’eau. Ici, quelques décimètres de plus ou de moins et c’est toute la pêche qui change. Et cela se fait ressentir sur toutes les espèces de poissons. Tout était prêt dans mon bateau. J’ai déposé mon montage à un mètre d’un buisson dans environ trois mètres d’eau ; c’est le seul coin qui ne craint pas et où les carpes passent. Cinq minutes ont suffi pour capturer la première belle miroir. J’ai pris trois poissons en une heure de cette façon, c’est ce que j’aurai pêché au mieux en plusieurs jours depuis le bord ! Les jours suivants ont été beaucoup plus calmes sur ce point chaud. J’ai dû ruser pour sortir mes plus beaux sujets de leurs nids. Le premier jour, j’avais simplement esché mon chod d’une bouillette de 20 millimètres de couleur neutre. Il n’y avait plus rien à faire avec cette couleur hormis un poisson sur plusieurs jours. Mais en eschant une pop-up de 15 millimètres de couleur vive, j’ai réussi à prendre les plus grosses en quelques sorties. Je n’hésite pas non plus à tailler mon appât en cube qui devient tout juste flottant ; les petits appâts peuvent faire la différence et je vous conseille de les essayer.

Eté comme hiver, je ne m'attarde pas très longtemps sur un poste, une heure tout au plus.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Que la chasse commence !

L’un de mes plus beaux souvenirs de traque a eu lieu en tout début de saison lors d’un mois d’avril encore très froid. Les années précédentes, j’avais repéré un bel endroit qui abritait quelques belles carpes dans un lac montagneux. Évidemment la pêche en stalking se pratique à toutes saisons, mais dans un lac aussi grand où l’eau est encore très froide, cela réduit allégrement les chances de réussite. Malgré tout je dois rester confiant. Je surplombe l’eau depuis des rochers. Elle est claire et je distingue le fond à trois mètres. Cinq grandes brèmes rachitiques et typiques des lieux passent de temps en temps. Le lac est pauvre en nourriture et la croissance des poissons est bien plus longue que par chez moi. Aujourd’hui je décide de faire une entorse à mes habitudes en pêchant avec un montage traditionnel et un appât de 24 millimètres de couleur neutre qui repose sur le fond. Il n’y a pas de réel obstacle et je pourrai fatiguer un hypothétique poisson tranquillement. La chasse commence. Mon appât repose sur un puits de grève au milieu de quelques rochers que les brèmes viennent râper avec leurs gueules. Cela fait une heure que je suis debout à observer. Je disperse quelques boulettes de stick mix mélangé à des micropellets simplement imbibés d’eau. Les cinq brèmes ne se quittent plus et s’affairent à chercher le moindre grain. Cela m’amuse. Il fait de plus en plus froid. Au loin, trois colverts viennent de se poser et m’observent. Une foulque passe encore plus prêt. Rétifs, ils ne sont pas habitués à être nourri par les touristes à cette saison, mais ils sont tentés comme jamais par ce que je projette. Je lance quelques cailloux en direction des oiseaux. Ils viennent voir, plongent et se rapprochent timidement. Finalement je peux commencer à leur offrir ce qu’ils veulent.

Le stalking en grand lac, des sensations assurées !
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Une heure de plus s'est écoulée

Je m’éclate simplement avec cela. Il y a du bon bruit sur et sous l’eau quand surgit enfin, un paquebot. Seule, magnifique et à ma taille. Peut être moins à celle de ma toute petite canne rétractable de six pieds et d’une puissante de 3 livres ! La carpe n’hésite pas une seule seconde et mange avec les brèmes. Elle passe plusieurs fois à quelques centimètres de mon appât. Les brèmes ne s’en sont quant à elles jamais préoccupées. Je rêve éveiller. Et puis soudain, le poisson arrive en ligne droite, il sait où se trouve le dessert. Il ralentit, tape deux ou trois fois dans les cailloux et fini par aspirer le piège. Il se redresse et par plutôt tranquillement vers la droite, puis il accélère. Le mou de la tresse se tend et fini par cintrer ma canne. Le poisson part vers la profondeur. Je ressens toute la brutalité de ses rushs. Le plaisir est différent avec une canne aussi courte, mais il est bien là. C’est presque un défi car le bras de levier est si court que je n’ai pas le droit à l’erreur, mais je m’adapte et m’y fais rapidement. La carpe se laisse glisser dans l’épuisette après un combat incroyable dans le fond. Je viens de prendre un poisson de 25 kg magnifique. Après quelques belles photos il est temps pour moi de regagner le campement pour la nuit. Il s’est mis à neiger quelques heures après la tombée de la nuit. Au petit matin, la neige recouvrait la montagne et les hêtres verts sortant de leur sommeil quelques dizaines de mètres au-dessus de moi.

Sans contrainte

La traque dans les grands espaces est une pratique osée, mais largement possible. Elle ne nécessite que très peu de matériel et même aucune préparation ni repérage si vous le souhaitez. Elle se fait au fil de l’eau, au gré de nos envies, sans contrainte. La traque est une technique à part qui nous demande comme toujours de nous adapter aux différents terrains. Si elle m’a permis de prendre plus de poissons et plus rapidement que sur des postes en sessions, elle ne m’a pas encore fourni les plus impressionnants. Mais le plus important reste l’esprit de liberté qu’elle génère en nous, et c’est bien l’une des choses les plus importantes pour un pêcheur.

Une canne, un sac à dos bien chargé et l'aventure peut commencer.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

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