Ce que l’on cherche en traquant, c’est l’adrénaline d’un frein qui s’emballe, c’est la vue d’un poisson fouillant le spot, c’est la précision du lancer au bout duquel un stick boosté doit faire le travail au plus vite. De la rentabilité ? Peut-être, mais parlons ici de recherche de sensations. Il serait dommage d’employer un mot d’économiste pour décrire des instants halieutiques. Casser les codes de la pêche à la carpe, c’est aussi admettre que certaines idées reçues peuvent être revues… les pêches rapides ne sont pas uniquement destinées aux sessions « estivales ». Elles se prêtent d’autant plus à la période froide que le poisson ne viendra pas à nous. C’est l’intérêt de traquer les poissons quand le mercure reste caché dans le réservoir. Alors oui, il faut quitter le fauteuil près du feu et s’armer d’envie pour affronter le froid. Car, si nous pouvons profiter d’une pêche ouverte toute l’année, à la différence des amateurs de brochets, sandres et autres truites, autant saisir cette opportunité. Et, il y a toujours possibilité de capturer le sujet de nos convoitises.
Revenir aux sens fondamentaux
A notre portée, aujourd’hui, il existe certaines assistances qu’il serait dommage de ne pas utiliser maintenant qu’elles ont été créées. Le drone en est un très bon exemple. Il m’aide à dégrossir un secteur lorsque cela est possible. Déceler un banc de poissons par ce biais-là n’est qu’une pierre à l’édifice du processus. Ces assistances ont parfois leurs limites et leur utilisation est soumise aux conditions de terrain. Elles peuvent aussi avoir l’inconvénient d’alourdir le chargement qui se doit de ne pas être trop épais, et deviendraient alors un frein à la mobilité. En revanche, le seul outil qui ne trahira jamais le pêcheur, c’est l’œil. Et apprendre à l’éduquer pour déceler la moindre brisure à la surface est parfois un gage de réussite. Se défaire de tous types de technologie permet d’en revenir à ce que ne pourra pas être robotisé : le ressenti humain. Ce feeling, ce pressentiment, cette sensation est souvent le fil conducteur d’un bon raisonnement. À défaut de détenir la vérité, le ressenti nous conforte dans un choix de chemin qui provient de prises d’informations et de l’accumulation d’éléments logiques. La conclusion, quelle qu’elle soit, permet d’appréhender différemment les prochaines prises de décisions. La mauvaise prise de décision n’a rien d’anormale et j’en serais presque un fervent partisan. Elle nous apprend à gagner en rigueur et, à la prochaine interrogation concernant la mobilité, le choix sera plus affiné ou mieux réfléchi grâce à l’expérience acquise.
Fractionner son temps de pêche
Il n’y a à mon goût pas d’incompatibilité entre mobilité et session de plusieurs jours. Si l’on considère qu’un 72 heures n’est qu’une succession de 3 jours et 3 nuits, on peut facilement comprendre que, décomposer le temps de pêche en périodes plus courtes n’a rien d’illogique. Cela a pour but de sans cesse se mobiliser pour que chaque minute ait la même valeur en termes d’efficience sur la potentielle capture de poissons. J’entends par là que, sur une session de plusieurs jours, l’assiduité peut décroître voire disparaître en raison de la longueur du temps de pêche et de la croyance que l’attente portera ses fruits. Je ne réfute pas l’idée qu’une pêche d’attente peut rapporter gros, loin de là, mais la mentalité évoquée ici va à l’encontre de ce principe, car la mobilité vient en bougeant. Et y prendre goût pousse à recommencer. De plus, lorsque l’on voyage léger avec un sac à dos et que les nuits sont fraîches, il peut être intéressant de profiter d’une nuit complète de sommeil, sans dérangement, zippé au fond du duvet. Cette façon de fonctionner n’a rien d’une perte de temps, elle permet au contraire de reposer le corps et l’esprit et de démarrer une journée avec un café chaud et un temps de sommeil confortable pour faire preuve de lucidité lorsque les cannes sont en pêche. Rebattre constamment les cartes, c’est se dépasser en écrasant certaines pensées limitantes. Même si cela est parfois le cas, il n’y a pas obligatoirement de lien entre chaque journée (en termes d’amorçage, de comportement des poissons). Ce qui est intéressant en se déplaçant, en cherchant, c’est qu’il est possible de tirer des conclusions quant à notre façon d’agir. La mobilité donne un point de vue quasi omniscient car, bien qu’il nous soit impossible d’être à deux endroits en même temps, le fait de se déplacer nous offre d’autres informations qu’un pêcheur statique ne pourrait déceler. C’est la raison pour laquelle le dilemme de « rester ou bouger » est une des grandes composantes du stalking. Il n’appartient qu’au pêcheur d’en juger, grâce au feeling expliqué précédemment.
Compacité et légèreté
Lorsque l’on décide de partir avec un fourreau et un sac à dos, on ne peut pas se permettre d’avoir un matériel encombrant. De la même manière, ce matériel ne peut être trop lourd. Il faut alors allier compacité et légèreté. Dans ce domaine, les trekkers sont bien meilleurs que les pêcheurs. Il n’appartient qu’à nous, encore une fois, de bien mêler les technologies qui s’offrent à nous. Car si un swinger est inféodé au milieu de la carpe, à l’inverse, un biwy pourrait être remplacé par un tarp, un hamac ou… une tente de trek. Et, à ce sujet, j’ai pu tester les diverses méthodes. Il faut dire que chacune a ses avantages. J’ajouterai même que ces méthodes peuvent être couplées. En effet, le poids et le volume du combo tarp, hamac, tente de trek atteindra au mieux 5 kg. Pour ma part, ma tarp de bushcraft (815 gr), mon hamac (510 gr) et ma tente de trek (1 550 gr) n’excède pas les 3 kg pour un volume très réduit. C’est pourquoi j’ai toujours avec moi ces 3 éléments qui peuvent s’assembler de plusieurs façons. Vous vous surprendrez d’ailleurs à utiliser votre surtoile comme d’un isolant thermique au sol lors de nuits à la belle étoile. Avec cela, on glisse au fond du sac un peu de cordelette, de petits mousquetons et, pièce maîtresse… un duvet !!! Là aussi, le rayon bivouac/trekking vous offrira votre bonheur – en duvet synthétique de préférence, le duvet naturel étant plus onéreux et difficile à sécher… dommage pour un amateur du bord de l’eau. J’en conviens, certaines contraintes viendront sans doute vous décourager lors de la découverte de cette discipline. Mais je préfère troquer mon brolly et mon bedchair pour un matériel plus léger que j’apprendrai peu à peu à apprivoiser. Cette expérience peut ne pas convenir à tout le monde car, plié dans ce même bedchair, un duvet 5 saisons doublure polaire avec coussin intégré m’attend pour dormir confortablement. Mieux encore, la fermeture éclair est étudiée pour s’ouvrir facilement lorsque mon stow vient embrasser le txi. Il est vrai que, quand on voit qu’une couverture, par une simple pression sur un bouton, vous transporte dans un cocon de chaleur qui vous enlèvera dans l’instant l’envie de combattre un poisson, posé sur un banc gelé, on s’éloigne une fois de mieux du randonneur/pêcheur que je vous décrivais plus haut.
Les limites de la pratique
Pratiquer une pêche mobile, sur plusieurs jours, est un style de traque qui a parfois ses limites. En effet, l’équipement du trekker trouve ses failles sur des berges pentues. Appréhender de grands espaces avec un sac à dos n’a rien d’irrationnel, mais pouvoir accéder aux meilleurs spots peut s’avérer difficile. En raison de l’absence d’arbres pour tendre un hamac, de zones rocheuses où le tapis de sol est bien plus qu’insuffisant, de l’absence de zones plates pour y monter sa tente, le matériel de trek ne peut satisfaire intégralement le pêcheur ou, pour ainsi dire, le carpiste. Lorsqu’il peut être pratiqué, le minimalisme logistique permet de se concentrer sur d’autres aspects de sa pêche que la simple organisation du campement, ici réduit à son strict minimum. Bien qu’il n’y ait pas de code de la logistique compacte et légère, un critère déterminant permet de savoir s’il est possible de s’alléger lors de la prochaine sortie : chaque élément doit avoir son utilité. Et, partant de ce critère, il est possible de pousser la démarche encore plus loin en essayant de lier un élément à - non pas une mais - plusieurs fonctions. Ce principe allégera drastiquement le chargement, à l’image de ma petite tasse en inox de 500 ml qui me sert aussi bien à me réchauffer les doigts lorsque je laisse infuser mon thé dedans mais qui fait aussi office de casserole et m’évite ainsi de transformer l’intégralité de ma popote habituelle.
La mise en constante
Comme nous le savons, la prise de poisson dépend d’une suite d’enchaînement logique qui forme la chaîne des facteurs. Sur cette chaîne, et c’est la raison pour laquelle l’épuisette peut parfois rester sèche, chaque maillon est un paramètre sur lequel nous avons le contrôle. Les maillons sont pour certains discutables et peuvent sembler dérisoires mais je préfère prendre en considération même le plus infime des détails et vous allez comprendre pourquoi. La couleur et le diamètre de l’esche, les matériaux du bas de ligne, la quantité d’amorçage, la profondeur, la pression, la météo, la pression de pêche, la densité de poissons, la ressource naturelle… sont autant de paramètres à considérer. Or, il est difficile de tirer des conclusions de l’efficience de notre chaîne si, pour le plus grand bonheur du pêcheur, la chance vient souder cette même chaîne - et biaiser dans ce cas le raisonnement logique -. Je vous parlais des maillons que l’on peut qualifier de « discutables » en raison de leur degré d’importance par rapport aux autres. Il est vrai que, pour vérifier la valeur d’une esche, il faudrait escher avec le même piège toutes ses cannes, mais de cette manière, il est impossible de savoir si une autre esche aurait fonctionné de la même façon - voire de façon plus efficace -. Nous pourrions aussi présenter 3 ou 4 esches différentes sur un même spot pour définir la plus qualitative dans l’instant, tout en négligeant le reste du secteur. En somme, il n’y a pas de bonne solution pour isoler le plus précisément possible chaque paramètre. Alors, il faut se focaliser sur un petit nombre de ces derniers pour leur donner une haute valeur et leur accorder une grande importance. Pour les autres, il faut établir ce que j’appelle une « mise en constante ». La météo est un paramètre qui peut nous sembler intouchable mais nous avons tout de même la possibilité d’avoir la mainmise dessus : lorsqu’on décide de ne pas se rendre au bord de l’eau. En effet, si l’on estime que le maillon « météo » est défectueux et que cette variable n’est pas optimale, il n’appartient qu’à nous de tremper les lignes ou non. La non-action est aussi une manière d’avoir le contrôle sur ce grand paramètre naturel.
Se concentrer sur les variables fondamentales
La mise en constante prend un sens plus fort lorsqu’on pratique la pêche avec un matériel léger et une mobilité maximale. Pour ma part, les paramètres concernant la pression atmosphérique, la météo ou encore la saison m’importent peu. Dans une vie pleine de contraintes et d’obligations, chaque temps libre peut être mis à profit. Je n’attends pas que toutes les conditions soient parfaites sinon, je n’irai que très peu au bord de l’eau. Isoler le paramètre des appâts et de l’esche semble aussi être pertinent. Car si la confiance en un appât résulte de convictions personnelles, il convient de prendre ce paramètre comme une habitude inchangée, c’est-à-dire, une constante. Pour ma part, lorsque je pêche à deux cannes, j’en place une avec une tiger et un faux maïs et la seconde est eschée d’un snowman. Cela me donne la sensation de couvrir une diversité d’esche avec peu de fils tendus. Il y a sans nul doute un aspect très psychologique à ça, mais la confiance que m’apporte cette méthode me suffit largement à me convaincre personnellement. Côté amorçage, j’ai établi 3 façons de procéder: bouillettes pures en plusieurs diamètres et déclinées en deux parfums, mélanges bouillettes/graines et sacs solubles. Ces 3 types d’amorçage couvrent la totalité de mes pêches et les quantités sont ajustées au contexte du moment (encore une variable). De ce fait, j’accorde une forte importance à la nourriture naturelle, au substrat, à la profondeur qui sont les uniques grandes variables de ma pêche et ne pourront, d’après moi, jamais devenir des constantes.
Une opportunité
La simplicité matérielle et mentale permet de se concentrer sur l’essentiel. Ce style de pêche peut être pratiqué par tous, cela ne demande aucune qualité préalable si ce n’est le goût de l’aventure. L’accès aux spots les plus reculés demande toutefois de l’acharnement. Mais l’envie est souvent le carburant de l’humain, qui le pousse à découvrir ce qu’il se passe de l’autre côté de la colline. C’est une réelle opportunité à saisir. Après s’être donné les moyens d’accéder à un spot, la satisfaction de déclencher une touche est un plaisir décuplé. Le mérite et la gratification d’avoir mené à bien un investissement et un raisonnement n’a aucun égal. C’est à cet instant que la passion prend un simple mais très profond sens.