La rivière, c’est l’aventure. Son linéaire incommensurable déplie des milliers d’hectares truffés de hot spots qui tourmentent gentiment le capitaine quant au choix de celui-ci. Les havres de tranquillité se savourent de poste en poste au fil des découvertes sans cesse renouvelées. La réglementation y est moins pointilleuse qu’en eaux closes. Des rivières entières s’ouvrent à la pêche de nuit. Votre bateau s’y dissimule loin des curieux et des messes soûlantes relayées sur les réseaux sociaux. Ses habitantes sont extrêmement combatives, une 25 de lac n’arrive pas à la nageoire pelvienne d’une 15 de courant. La rivière c’est surtout cette espèce de je ne sais quoi qui bat au rythme des propres ondes cérébrales du pêcheur et qui engendre, choisissez vous-même le terme qui vous convient le mieux, bonheur, extase, plénitude, sérénité.
La mise à l'eau
La pêche en rivière revêt cependant un aspect contraignant lors du premier jour de pêche. Il s’agit de la mise à l’eau et de la protection des véhicules (voiture et remorque). Si le pêcheur ne dispose pas d’un véhicule à quatre roues motrices il doit sélectionner avec soin la mise à l’eau qui lui assurera, non pas la descente, mais la remontée de son bateau. Pas évident… j’en témoigne par les nombreuses heures passées à scruter Google Earth, par les repérages préalables sur place et une malheureuse fois, par la recherche fastidieuse d’un aimable fermier et de son tracteur. Si le capitaine souhaite s’isoler sans faire le moindre mal à personne il n’en est pas de même avec une certaine faune qui rôde sur les berges. Bien heureux le capitaine qui parvient à s’endormir paisiblement en sachant que ses véhicules sont garés près de la mise à l’eau à la vue des malveillants. Car la menace est de deux ordres : le carpiste imbécile qui vient exploser vos pneus pour les bonnes raisons qu’il a lues sur Facebook et le voleur un peu plus malin qui revendra facilement votre remorque sur le Bon Coin. Dans les deux cas des emmerdes XXL la veille du jour où vous devrez reprendre le travail. La seule parade rassurante est la protection des véhicules dans un lieu privé et discret. Sa mise en œuvre demande du temps de recherche et une organisation assez complexe.
Les pièges de la rivière
Les difficultés de la pêche en rivière imposent une vigilance sans faille. Le plus grand danger est la crue de rivière. La consultation des applications Météo & Radar et Vigicrue doit être un réflexe récurrent, salutaire, obligatoire. Les profondeurs de la rivière sont très variables, le danger le plus dommageable pour le moteur est l’apparition soudaine d’un radier ou d’un arbre immergé, ces torpilles ennemies qui veulent vous couler. Sur les secteurs que l’on découvre pour la première fois il ne faut pas quitter les yeux de l’échosondeur ou à tout le moins être extrêmement attentif à l’alarme sonore réglée à environ un mètre de profondeur. Dès son retentissement on ralentit les gaz et on lève le trim au besoin. Clin d’œil à Bastien, un pêcheur qui embarque avec moi une fois l’an : et on ne panique pas comme un bleu, rire !
Le passage des écluses est extrêmement stressant pour un nouveau moussaillon, toujours hasardeux même pour un vieil Achab. Respectez scrupuleusement les procédures au risque de vous retrouver par le fond ou écrasé par plus gros que vous. Les encordages doivent être ajustés et les ouvertures de vannelles bien maîtrisées pour éviter les tourbillons ravageurs. Clin d’œil à Paolo qui a vu son tapis de réception flottant et son moteur électrique exploser lors d’un passage d’écluse. Moi-même lors d’une autre session j’ai vu un rod-pod s’arracher par la tension d’une amarre. C’était encore le temps où j’utilisais des rod-pods sur un bateau. Ce n’est plus le cas depuis longtemps (Un autre article à ce sujet plus tard peut-être?)
La première journée de navigation
C’est la préférée de Furtif, celle du déchaînement de sa prison-remorque qu’il n’apprécie guère. Il va durant toute la journée bondir sur les flots comme une génisse lâchée en pâture en fin avril. Son capitaine connaît le point fort de la pêche en cabine, la mobilité. Chaque jour il changera de poste de pêche afin de surprendre à chaque déplacement des carpes délurées, goulues comme des porcs affamés. La première journée est consacrée à l’amorçage de plusieurs spots, parfois distants de plusieurs kilomètres. En soirée seulement, Furtif pourra se reposer mais pas le capitaine qui attaquera à ce moment son premier poste de pêche et verra sa première canne ployer et son taux d’adrénaline monter. Le lendemain, le capitaine organisera au gré des circonstances sa tournée des postes amorcés tout en appâtant encore d’autres spots. Peson, épuisette, appareil photographique… vont alors rentrer dans une danse bien orchestrée.
Le mouillage
Avant toutes autres considérations, le choix de l’emplacement du mouillage doit prendre en compte la sécurité, la vôtre et celle des autres usagers. La rivière est fréquentée par d’autres embarcations, du simple kayak au monstrueux pousseur. Le kayak risque de se prendre dans les bannières, le pousseur vous enverra par le fond et peut-être directement vers Saint-Pierre. Seulement ensuite pensez au meilleur positionnement pour l’attaque halieutique du poste choisi. La pêche à la verticale sans les encombrants rod-pods, idéale en cabine, permet de positionner systématiquement la proue du bateau vers l’amont face au courant. L’amarre de proue est jetée du bateau en premier lieu à environ 8 m en amont du spot choisi, la longueur de la corde. Le bateau s’immobilisera dans le sens du courant. Ensuite, avec l’aide du zodiac, les trois autres amarres de 20 kg sont larguées avec précaution et tendues sur la résistance des élastiques.
Quelle que soit votre position, même très sécurisée, restez extrêmement vigilant face aux passages des autres bateaux. Certains capitaines n’ont souvent aucune expérience, principalement les vacanciers qui louent les bateaux touristiques, des Bachi-Bouzouk dirait le capitaine Haddock. De plus, ces Moules à gaufres n’ont aucune connaissance de notre mode de pêche, ils ignorent l’existence de nos bannières. Par curiosité, ils frôlent notre embarcation et arrachent en conséquence les lignes. Combien de fois n’ai-je pas dû faire le clown debout sur ma cabine en agitant un fanon pour les avertir d’un danger.
La pêche d'obstacles
Les rivières sont jonchées d’arbres morts, de frondaisons plongeantes, de rochers tapissés de moules, en bref de pièges de toutes sortes que les carpes connaissent très bien. En conséquence, le pêcheur adoptera une stratégie de pêche d’obstacles: blocage du poisson dès la touche. Le rod-pod est à proscrire au profit des cannes fixées verticalement dans des tubes en inox, freins bloqués. L’amorti du blank est directement opérationnel avant même que le pêcheur ne saisisse la canne. La probabilité de prise est décuplée par rapport aux cannes déroulantes sur rod-pod. Faut-il vous rappeler qu’une canne sur rod-pod avec le frein bloqué est arrachée directement lors du départ ? Et si vous ne l’avez pas assurée avec une cordelette elle valsera au fond. L’emploi du rod-pod est tellement ancré dans le mental des carpistes que beaucoup me considèrent comme un original pour les avoir jetés à la ferraille.
Les appâts
Les carpes de rivière sont des goulues qui avalent tout ce qui passe devant leur groin, n’en déplaise aux experts en nutrition, souvent gravitant dans le milieu du parrainage des boules. Les graines sont directement opérantes. L’expérience m’a montré les atouts indéniables des tigers de taille XXL. Résistantes aux attaques de blanchailles, facilement montées en décollé, attirant moins les silures et adorées par nos chéries. Le maïs fait aussi partie de mes munitions de guerre pour les amorçages de veille, distribué par louches entières, amuse-gueule à faire saliver les mémères. Les boules de taille minimum de 24 mm font bien évidemment aussi partie des festins. La marque ? Peu importe. Il y a bien longtemps que les pressions marketing ne m’influencent plus. Et je n’en serai jamais leur relais tant je n’apprécie guère cet aspect de notre passion.
La longueur des cannes
Tous les capitaines savent que les cannes courtes sont indispensables pour la pêche en bateau. Nul besoin de lancer, les déposes se font avec l’aide du zod. Celui-ci est aussi sollicité pour les combats, une canne courte limitera l’effet toupie si compromettant lors des dernières manœuvres d’épuisage. Les 9-10 pieds ont leur succès. Depuis l’année dernière j’ai testé des minuscules 6 pieds. Elles sont moins encombrantes que leurs sœurs aînées. Posées sur le zodiac, leur sillon ne dépasse pas vers l’extérieur du zodiac. Les manœuvres de poses de lignes et d’accostages sont plus aisées car il n’y a pas de risques d’accrochages du scion dans les branches en bordure ou sur le bateau et ses cordages. D’une puissance de 3.5 lbs, elle bloque les poissons à la porte de leur tanière. Elles m’apportent une telle satisfaction que mes 10 pieds ont aussi été remisés au grenier. Les rod-pods, bed-chair, bivy, cannes, avertisseurs, plombs… ne forment plus qu’un amas de brols qui fait le bonheur des araignées. Mon bateau cabine est doué pour faire le ménage. Il est du style nettoyage par le vide.
Conclusion
La pêche en bateau s’émancipe pleinement en rivière et sur leurs lacs de barrages. Elle se libère des nombreuses limitations imposées sur les étendues de plaines. Des centaines de kilomètres de linéaires indomptés s’offrent aux Christophe Colomb carpiste. Les difficultés inhérentes à la pêche en cabine sur les rivières seront maîtrisées par le capitaine. Il barrera de jour en jour sur les nombreux spots préalablement arrosés de mets savoureux. Le pêcheur découvrira tous les fabuleux trésors cachés dans les méandres mystérieux. Les indigènes alléchés, vierges de piqûre, feront la haie d’honneur avant la goinfrerie finale. Carpiste, capitaine et rivière, un fabuleux trio soudé vers un bonheur certain.