Le vent influence le comportement des poissons en générant des sources d’alimentation et en améliorant l’oxygénation de l’eau. Le confort respiratoire des carpes est accru et cela va leur permettre de s’activer pour rechercher de la nourriture. Lorsque l’on se met un sac plastique sur la tête, on n’a plus faim, c’est une observation facile à vérifier soi-même ! Il en est de même pour les poissons, surtout durant la saison chaude où la température de l’eau augmente, entraînant la chute du taux d’oxygène dissout. Rappelons qu’au-delà de 15°C, la saturation de l’eau en oxygène diminue. Le vent est donc un bienfaiteur mais il apporte avec lui, un cortège de désagréments dont il va falloir tenir compte pour tirer son épingle du jeu en pêchant du bord en plan d’eau et sans bateau quand ça souffle dur.
Distance de pêche
La première des choses à laquelle je suis attentif lorsque j’arrive sur un poste, c’est la distance à laquelle je vais positionner mon amorçage et mes lignes. Je commence donc par sonder à l’aide d’une canne et d’un montage marqueur. Suivant ce que je vais trouver d’intéressant : herbiers, cassures, hauts fonds, obstacles, … et la nature des fonds : sable, vase, gravier, cailloux ; je vais adapter mon approche et choisir d’exploiter la zone sélectionnée la plus proche de moi pour commencer et pour des raisons de confort et d’efficacité. Je garde toujours en tête ce proverbe chinois de 2000 ans qui dit : « Plus tu as de fil de sorti, plus tu as de soucis ! ». C’est d’autant plus vrai quand un fort vent latéral ou de face est déjà bien installé. Parfois, lorsque l’on a des concurrents sur le lac ou que l’on est en compétition, on n’a pas toujours cette option de pêcher près et il faut alors envisager d’allonger la distance pour sortir des lignes des voisins. Aussi, je fais attention quand la pièce d’eau est « pétole », sans la moindre ride quand j’arrive car les conditions peuvent changer rapidement, surtout si je dois rester plusieurs jours. Je garde toujours une marge de sécurité au cas où le vent se lève car si je démarre en lançant au maximum de mes capacités, je prends le gros risque de ne plus parvenir à placer mes montages sur mon coup !
Bien sûr, quand on a le vent dans le dos, c’est plus simple, mais là aussi je surveille à ne pas trop m’enflammer sur la distance car si le vent tombe ou si je commence à fatiguer, je me retrouverais là aussi dans le piège de ne plus pouvoir atteindre la zone amorcée. Etant guide de pêche et pratiquant sur la mer une bonne partie de l’année, j’ai l’habitude de consulter régulièrement les conditions météorologiques. Les sites que j’affectionne le plus sont Windy et Windguru. Je n’y déroge pas quand je pars en session et j’accorde beaucoup d’importance à la force et à la direction du vent pour choisir mon poste. Quand j’ai le choix, je pêche de préférence vent de face, donc la berge battue par les vagues et à courte distance. Après l’emplacement du coup, viennent les questions de l’amorçage et de son déplacement par rapport aux mouvements d’eau.
Courant et dérive de l’amorçage
Selon sa force, le vent qui souffle sur l’eau provoque la formation de vagues plus ou moins importantes. Les vagues matérialisent la masse d’eau qui se déplace, créant un courant de surface. Lorsqu’il rencontre la bordure, le courant de surface va repartir dans le sens opposé mais en profondeur, se transformant en courant de fond. Les pêcheurs au coup connaissent bien ces phénomènes qui génèrent le déplacement de l’amorçage. Cette dérive des appâts existe bien entendu sur nos amorçages destinés aux carpes cependant, peu d’entre nous le savent mais il convient de la prendre en compte dans le placement des lignes.
Elle explique souvent pourquoi sur un même coup c’est toujours la même canne qui déroule. En utilisant trois cannes sur un même amorçage, j’aime répartir mes montages sur et en dehors de la zone qui reçoit régulièrement des appâts. Souvent, c’est les montages présentés derrière l’amorçage qui fonctionnent le mieux, j’aime à penser qu’en réalité c’est parce que c’est là que la dérive apporte mon amorce. Dans l’idée, je cherche à trouver vers où la dérive a eu lieu pour y placer deux lignes et augmenter la cadence de mes touches. Bien sûr, plus on utilisera des appâts denses et volumineux et moins ils seront entraînés par les courants. A contrario, les mélanges farineux, les soupes, les petites graines comme les bird-foods et le chènevis seront clairement soumis à ces forces. C’est pour cette raison que l’on évitera de les utiliser quand les conditions sont fortes car ils risquent de faire sortir les poissons de votre coup et de les éparpiller au lieu de les rassembler. Les bouillettes et les pellets d’au moins 14mm ont donc ma préférence quand Eole s’énerve. Je les expédie au Spomb ou au bait rocket non perforé car trop sujet à être déporté quand le vent souffle de travers. Un courant de surface assez fort pourra décaler de plusieurs mètres mes appâts dans la direction où souffle le vent dès l’ouverture du spod. Plus la profondeur sera grande et plus la dérive sera importante.
Si par exemple, j’ai un vent de travers qui pousse l’eau de surface de la gauche vers la droite, j’aurais tendance à décaler mes lignes vers la droite du coup et d’avantage encore en fonction de la hauteur d’eau. En imaginant que je pêche face au vent et que les vagues viennent se casser dans mes pieds, le courant de fond ou de retour fera reculer mon amorçage vers le large, cette fois-ci, je préférerais allonger mon lancer pour exploiter l’arrière de mon coup. En fait, je tâtonne jusqu’à trouver où les poissons répondent et c’est souvent parce que c’est là que l’amorçage a été emmené par les éléments.
Technique de lancer et équipement
Avant de partir pêcher, quand j’ai étudié les prévisions météorologiques et quand le vent sera de la partie, j’emmène un matériel adapté. D’abord, mon jeu de cannes plaisir va rester au râtelier car souvent il va falloir appuyer davantage pour atteindre la distance voulue donc par précaution, j’utilise un ensemble puissant en 13p 3,75 lbs avec un fil plus fin que d’habitude, un 26/100ème en général. Les diamètres les plus petits ont moins de prise au vent et au courant. Pour amorcer, j’utilise uniquement le Spomb qui se montre bien plus précis et efficace que le tube lance bouillette ou la fronde donc pour la canne à spod, je choisis un modèle en 13p 5lbs avec une tresse fine en 13/100eme, 8 brins, parfaitement ronde sur le moulinet.
Même si j’emmène toujours plusieurs tailles de spod, je sais que je vais diminuer aussi leur volume et utiliser un modèle médium. Comme les Spombs ont tendance à planer, ils subissent moins les effets du vent, je parviens donc assez facilement à mettre en place mon amorçage. Je m’assure toujours de pouvoir y placer un montage car il ne vole pas comme une fusée d’amorçage et c’est plus difficile. Lors du lancer, il va falloir prévoir de bloquer la sortie du fil juste avant l’impact du plomb pour déjà réduire et plaquer la bannière près de la surface de l’eau pour éviter qu’elle ne forme un ventre impossible à résorber. Le montage se trouve en général fortement déporté dans le sens du vent et c’est la galère pour tendre la ligne avant de la poser sur le rod pod. Il est même essentiel de viser un point décalé de la cible afin que le plomb termine sa course au bon endroit. Une autre astuce permet de compenser la déviation de la trajectoire du montage, il s’agit de se déplacer en remontant le vent juste après avoir lancer et avant l’impact du montage sur l’eau. Je montre cette manœuvre dans une de mes vidéos Youtube, le vent était tellement fort que je devais courir pour y parvenir !
J’admets qu’il y avait de quoi en rire mais c’était efficace ! Si je pêche fil clipé sur le moulinet, je m’efforce de réaliser des « clips parfaits » c’est à dire que la ligne doit atteindre le clip juste avant de toucher l’eau et surtout pas trop haut comme quand le lancer est trop puissant car elle sera fortement décalée. Question montage, il va falloir s’adapter aussi, je monte en grammage de plomb jusqu’à 140g parfois 160g, si nécessaire, quand je pêche au-delà des 120m avec un fort vent de travers. Ces poids lourds vont accumuler d’avantage d’énergie cinétique au moment de la propulsion et vont pouvoir emmener la ligne plus loin qu’avec un lest plus léger. Une fois au fond, avec 140g ou plus, je vais pouvoir tendre plus facilement ma bannière sans risquer de trop facilement faire glisser le montage. La forme du plomb a aussi son importance, les « missiles », avec un profil très aérodynamique, ont ma préférence. J’évite les plombs à surface plate ou avec des picots qui offrent trop de prises à l’air.
Maintenant que l’on sait quel plomb choisir, on va s’intéresser au bas de ligne et à l’eschage. J’utilise du fluorocarbone et un D-rig presque systématiquement pour réduire les risques d’emmêlages, accrus par le vent. Je propose de petits appâts de 15mm maximum pour réduire la prise au vent sauf quand l’eau est très teintée, on verra pourquoi tout à l‘heure, ou s’il y a beaucoup de poissons chats dans la pièce d’eau. S’ils sont très actifs, je ne descendrais pas en dessous de 24mm et si la grosse bouillette freine trop, je l’abandonnerais au profit de deux graines de lupin ou d’une belle tiger nuts, graines peu sexy pour les matous. Bien entendu, je n’ajoute pas de stick soluble sur le bas de ligne pour ne pas réduire mes performances de lancer.
Pêche en eaux troubles
Une autre des conséquences engendrées par le fracas des vagues sur les bordures, c’est la mise en suspension des sédiments. L’eau, chargée de particules soulevées par les courants, devient trouble et la turbidité se propage avec les courants jusqu’à se répandre dans toute la pièce d’eau quand les conditions fortes durent plusieurs jours. Ce facteur est à considérer car au-delà d’être stimulant, il va influencer la capacité des carpes à trouver les appâts puisque le sens qu’elles utilisent en priorité, c’est la vue ! Dans l’eau couleur café au lait, c’est compromis !
Ce qui explique par exemple le succès du zig en eau plutôt claire où un simple morceau de mousse insipide suffit à leurrer les poissons et à contrario, sa baisse de régime la nuit ou dans les eaux très sales. Par contre les zones où l’eau est piquée attirent immanquablement les poissons car ils associent facilement la coloration de l’eau à la présence de nourriture potentielle.
C’est le signal que l’on cherche à recréer quand on utilise des traçants dans l’amorce, des soupes et plus récemment la fluorescéine. Dans cette purée, c’est l’odorat des carpes qui va prendre le relais et pour les aider à trouver mes esches, je vais augmenter leur volume, il en résultera une surface d’échange accrue avec l’eau et donc une meilleure diffusion. Ce sont aussi des conditions idéales pour booster fortement tout ce que vous avez enfiler sur vos cheveux. Attention, mes bouillettes d’amorçage restent de taille réduite, souvent en 15mm car en plus grand nombre sur le fond pour un poids équivalent par rapport aux grosses, elles offriront à elles toute une surface d’échange avec l’eau bien plus importante et sauront intéresser plus rapidement les poissons.
Donc pour résumé, je place les grosses billes booster sur le cheveu et les petites en amorçage. Un autre avantage qui joue en notre faveur, c’est qu’il sera inutile de finasser puisque petit fil ou gros fil, elles ne le distingueront pas ou très peu. J’aime quand même ajouter une touche de couleur à mes appâts d’eschage en usant et abusant des maïs fakes comme les roses fluos. J’aime sélectionner ceux qui réagissent aux UV comme certains de la gamme Rok … L’œil de la carpe peut percevoir les ultraviolets tout comme ceux de sandres. Les pêcheurs aux leurres connaissent bien le phénomène. Pratiquant moi-même ces techniques, j’ai pu constater que dans certaines conditions notamment en présence d’eaux mâchées, les sandres tapaient bien mieux sur des leurres souples réagissant aux UV. Ce n’est qu’une observation personnelle, qui vaut ce qu’elle vaut, mais je suis persuadé qu’il en est de même pour notre cyprinidé favori !
Pour savoir si vos faux appâts plastiques sont de ce type-là, il faut les tester avec une lampe UV. On peut trouver facilement cet accessoire chez les détaillants, au rayon pêche à la mouche. Elles servent à faire durcir instantanément les vernis UV que l’on utilise pour monter des mouches ou des nymphes artificielles.
En dehors de l’eau
Sur le bord, j’ai plusieurs points de vigilance quand le vent est fort. En premier lieu, j’utilise un « vrai » rod pod du style, Carp’o G2 Amiaud. Lourd, bien haut sur ses trois pieds, il est ultra stable et je n’ai pas besoin de me pencher pour prendre une canne. L’axe de la barre central me permet de relever ou d’abaisser mes scions du ciel à la surface de l’eau en une seconde et c’est génial quand en combat, une carpe risque de croiser les autres lignes. Bien sûr quand le vent souffle, j’oriente mes cannes vers le bas et rentre même mes scions dans l’eau pour limiter les vibrations néfastes des fils tendus dans le vent. C’est sûr que l’on est plus dans l’effet de mode et que mon tank de 8kg paraît d’une autre époque par rapport aux ridicules petits supports en vogue aujourd’hui qui maintiennent les cannes à ras du sol avec une faible plage de réglage possible. Ils offrent tellement peu d’espace entre chaque canne que les manivelles des moulinets se touchent et se croisent entre elles, si bien qu’il est conseillé de les replier !
Avec le vent vient parfois la pluie et les gouttes d’eau qui battent le sol projettent sable et autres salissures plein les moulinets qui sont presque par terre, alors j’ai vu qu’il existe des petits tapis antiéclaboussures qui se posent au sol, sous ces rod pods minitures pour parer au problème ! Quand j’ai vu ça, je ne vous cache pas que j’ai eu envie de faire comme Mr Garisson dans Southpark : sortir mon triangle et le faire tinter en accompagnant les « ding, ding, ding » d’un « Alerte aux gogols ! » Il y a des trucs que je ne comprends pas, peut être que je vieillis. Le modèle trépied de chez Caperlan est lui aussi bien conçu et reprend plusieurs qualités du Carp’o. Toujours sur le rod pod, je vais utiliser des swingers avec un bras rigide et supprimer les chaînettes ou les cordelettes car elles ne maintiennent pas latéralement l’indicateur visuel qui va se balancer et générer des bips intempestifs, surtout si vous êtes équipés de détecteurs à palpeur !
A mon sens, les systèmes à petites poulies sont bien mieux adaptés aux conditions fortes. Même si cela pourrait paraître logique, je ne coule pas mes bannières à l’aide de back leads par grand vent pour ne pas nuire à la bonne détection des touches et ne pas risquer d’être coupé par les dressènes au ferrage, je m’explique : lorsque les vagues battent votre bordure et que celle-ci est constituée de pierres tapissées de dressènes, les courants les détachent de leur support, elles vont donc en chercher un nouveau et parfois c’est votre back lead qui se retrouve couvert de moules, je ne vous fais pas un dessin quant au risque de casse à la première tension de la ligne !
De manière générale, tout au long de l’année, le vent est plutôt un atout sauf en hiver quand il refroidit l’eau. On peut dire qu’il déclenche l’activité alimentaire des carpes en leur offrant un confort respiratoire et des sources d’alimentation divers, soit en soulevant et en arrachant la nourriture présente à l’endroit battu par les vagues soit grâce à la formation des courants qui sauront transporter avec eux de la nourriture pour la faire s’accumuler du côté où ils vont.
Certes, il faudra s’adapter à la rudesse des conditions et elles ne vous faciliteront pas la tâche à chaque fois où il faudra retendre les lignes ou distribuer des appâts. Cependant avec de la méthode et du bon sens, c’est réalisable avec très souvent de bons résultats à la clé. D’ailleurs ne dit-on pas : à conditions exceptionnelles, poissons exceptionnels ! » Bon vent à tous !