Nymphe en petite rivière avec Pascal Dubois

C’est sur le Quéffleuth que Pascal nous donne rendez-vous, au niveau de la forêt de Coatlosquet, non loin du fameux cloître de Saint-Thégonnec, en plein cœur du Finistère. Alors qu’il gare son 4x4 le long de la départementale Carhaix-Morlaix, on perçoit les eaux de cette petite rivière, longue de 21 km, qui bruissent en contrebas. Du moulin de Quéneuf au hameau de fumé, soit environ 15 km, ce secteur est assurément le plus beau : le Quéffleuth s’écoule dans un vallon encaissé, boisé, sinueux, ponctué de vasques et de blocs rocheux granitiques qui lui confèrent un caractère sauvage, à l’image de ces truites sauvages qui arborent une superbe livrée, flancs dorés tachés de vermillon. Ici, ce n’est pas tant la taille qui compte que la qualité. Une truite de 30 cm se montre maligne. Une vaillante combattante qui connaît parfaitement les caches et autres chausse-trapes de son territoire. 

Canne de 10 pieds

La magie bretonne opère dès les premiers instants, même si Pascal, poète à ses heures, ne monte pas son matériel pour s’adonner à une simple rêverie. Canne de 10 pieds, moulinet semi-automatique, ce n’est pas en sèche, manifestement, qu’il a l’intention de prospecter ce secteur : « Dans cette petite rivière rapide, les truites sont très généralement actives en surface, soit du fait d’une éclosion, soit par opportunisme. L’été, les terrestres, sauterelles, scarabées, constituent une grande part de leur alimentation. C’est un régal de la pêcher en sèche avec une 7 pieds et une soie naturelle. Mais avec les fortes précipitations et les chocs thermiques que nous connaissons depuis un mois, les truites ont changé de comportement. » Pragmatique, Pascal n’en est pas moins un fin technicien pour qui une adaptation permanente est gage de réussite régulière. C’est donc en nymphe au fil qu’il part prospecter ce secteur ombragé, bordé par une végétation rivulaire dense. Parfois décriée comme un fac-similé de pêche au toc, cette technique ô combien subtile serait-elle à ranger aux orties ? La nymphe requiert autant un sens de la dérive, une bonne perception de la couche d’eau, qu’une bonne connaissance de l’habitat des salmonidés. 

Les niveaux d’eau dictent la pêche

Un coup d’œil dans la boîte de Pascal permet de se faire un avis quant à la diversité des modèles susceptibles d’être présentés. L’éventail est large : « Tout dépend des niveaux d’eau qui dictent, bien entendu, le poids de la nymphe. En gros, j’utilise des modèles qui vont de l’hameçon 18 doté d’une bille de diamètre 2 mm ou 2,5 mm en taille 16. Parfois plus lourde selon les niveaux d’eau ou les postes rencontrés », explique Pascal qui, depuis quelque temps, utilise les perdigones pour leur qualité d’immersion rapide. Des imitations plus spécifiques viennent compléter sa collection : imitation de trycho, cuivre casquée et tout un assortiment de larves plus ou moins incitatives. À noter qu’une imitation corps roux casque jaune semble faire merveille dans ces eaux couleurs thé. Au cœur de l’été ou par niveau bas, il utilise des modèles peu lestés, des imitations de gammares, par exemple, voire de chiros… Mais outre l’imitation, c’est avant tout la parfaite présentation et la dérive la plus naturelle possible qu’il privilégie. Plus facile à dire qu’à faire en petit milieu, qui plus est encombré. 

Soigner l’approche

Investir le Queffleuth peut sembler de prime abord simple : la lecture des postes semble aisée, les veines d’eau marquées. Mais il faut se méfier des apparences comme le fait remarquer Pascal : « Il est d’autant plus facile de s’y casser les dents que les truites peuvent se montrer très sélectives quant à leur régime alimentaire. Elles ont un net avantage sur la connaissance de leur territoire. Elles sont vives, rapides. Avec ses niveaux bas, un pas trop bruyant, une ombre portée qui s’étire et tout le monde se retrouve aux abris. » Une autre donnée s’impose rapidement pour qui essaierait de sortir de la soie, l’encombrement lié à la végétation ripisylve. Les berges boisées, plus ou moins encaissées, offrent des fenêtres de tir très limitées. En sèche, une 7 pieds ferait merveille, mais en nymphe au fil la longueur de la canne est bien entendu déterminante pour contrôler la dérive. En voyant œuvrer Pascal, on comprend que les 10’3 de sa Maxia lui procurent un avantage certain. « Voir sans être vu », tel pourrait être son leitmotiv, car c’est à un jeu de cache-cache entre les obstacles auquel il se livre la plupart du temps. Une partie de son savoir-faire repose sur une parfaite maîtrise du lancer arbalète qui lui permet de placer sa nymphe dans un mouchoir de poche, à 3 comme à 10 mètres quand il aborde une zone de lisse en toute discrétion. 

Pêcher léger au premier passage

À cette pêche de sioux s’ajoute un autre paramètre : « Il ne sert à rien de matraquer une zone ». Deux voire trois dérives suffisent généralement à vérifier si le poste est occupé. Une des difficultés principales réside dans le bon choix de la nymphe, son lestage approprié est crucial. Une anticipation et une lecture de chaque poste sont déterminantes, car pas un secteur ne se ressemble : veine d’eau marquée, plat, vasque, seuil, radier, bloc rocheux… C’est une pêche qui s’inscrit dans une diversité d’approches et un constant sens de l’orientation. « Je change très vite un modèle de nymphe pour un autre. Si l’imitation pêche trop creux, les risques d’accrochages sont grands et les truites rapidement misent en alerte. Insuffisamment lestée, la nymphe est inopérante sauf si ces demoiselles sont d’humeur à intercepter une larve sous la surface. » Le porte-nymphes accroché au chest pack de Pascal se suffit à l’explication : plusieurs séries de nymphes identiques sont montées en différentes tailles de billes. Idem pour les perdigones accrochées selon un ordre établi, de la plus légère à la plus dense. « En action de pêche, le temps est précieux. Rien de plus agaçant que de chercher le bon modèle ou d’avoir un doute. Sur un poste dont je discerne mal la profondeur, j’aurais tendance à faire un premier passage ''à blanc'' avec une nymphe plus légère avant d’aller gratter le fond. Et tant que je n’ai pas trouvé le bon modèle ou le bon coloris, j’en change jusqu’à la première interception. » 

A l’arbalète

À voir progresser Pascal, collé à la berge, on se dit parfois que la pêche s’apparente véritablement à une chasse. Le poste repéré, la distance évaluée, les pièges des micro-courants parasites analysés. Il bande la pointe de son scion tel un arc et dé coche sa nymphe avec précision, trois quart amont voire plein amont. Selon la distance, généralement moins de 5 mètres, il relève sa canne progressivement, légèrement vers l’aval, afin d’assurer une tension dans le fil sans faire draguer son imitation. Tout se joue dans un laps de temps très court, les gestes quasi automatiques ajustent, corrigent et conduisent la dérive. Un indicateur bi-colore en nylon permet à Pascal de s’affranchir du manque de lumière sous les frondaisons. Au moindre arrêt ou accélération du fil, il lui faut répondre instantanément par un ferrage approprié. Dans la seconde qui suit la truite aura recraché. Sur les parties plus calmes ou les lisses au fond sablonneux, Pascal n’hésite pas à rallonger sa distance de lancer. Une arbalète à 8 ou 10 m lui permet de prospecter plus de linéaires tout en jouant la carte de la discrétion. La moindre vibration à la surface suffit bien souvent à caler toutes les truites. Sur ce type de parcours, Pascal n’est pas fan d’un montage avec une potence supplémentaire, plus source d’ennui que de réelle efficacité, a fortiori lorsque les niveaux d’eau sont bas. « Il faut fouiller tous les postes afin de solliciter les poissons présents ! C’est un mode de pêche assez éprouvant où une concentration permanente prime avec la capacité de se déplacer sur un terrain accidenté. Je n’ai plus 20 ans ni un tour de taille de jeune premier ! Après une séance de 2 à 3 heures, la fatigue s’accumule et les erreurs aussi. Il faut savoir s’écouter. Cette pêche en petite rivière est exigeante et passionnante, sportive à souhait, d’autant que cette partie de la vallée du Queffleuth est grandiose, ce qui ne gâche rien. »