Les hommes et les femmes ont formé des « puits » d’une profondeur d’un peu moins d’un mètre et d’une circonférence légèrement plus grande. Ces formations caverneuses ne sont accessibles que par gros coefficient, tout simplement parce que les crevettes, aujourd’hui encore, ne se pêchent qu’aux grandes marées dans les Pertuis charentais. Ces personnes ont donc découpé la « banche » sans la fragiliser, enlever les pierres pour construire le trou. Et puis ils ont rebouché la cavité avec ces blocs de roche en entrecroisant les pierres par étage pour créer des vides afin que tout animal marin s’y engouffre et soit piégé avec une dernière rangée de pierres minutieusement disposées. Ce travail a évidemment demandé de nombreuses heures de travail à la pioche, au gros burin, au marteau, rien qu’avec la main de l’homme. À chaque grande marée, qu’il vente, qu’il pleuve ou par grand soleil, chacun va explorer le trou familial des générations précédentes en espérant pêcher les crevettes, mais aussi trouver quelques crustacés ou poissons pas toujours désirés.
Des puits creusés à la main
Les crabes, les congres ne se retrouvent jamais par inadvertance dans le puits. Ils sont attirés par le garde-manger que représente cette caverne. Ils s’y infiltrent sans aucune difficulté et se délectent sans aucun effort. Combien y aura-t-il de crevettes en moins ? Une certaine quantité surtout si ces squatters y ont élu domicile depuis un certain temps. Parfois, ces campeurs indésirables s’exfiltrent d’eux-mêmes pour retrouver une plus grande liberté, mais aussi parce que le « frigo » est vide. Quel est donc l’outillage du pêcheur de crevettes au trou ? Le même que celui d’antan : la pelle, le seau, le havenet, le « treuillou », la fouëne. Et pour l’équipement vestimentaire : des bottes, des gants, et des vêtements adaptés à la saison comme autrefois. En revanche, plus de quichenotte pour les femmes, ces coiffes portées par les pêcheuses d’huîtres pour se protéger du soleil.
Peu de repères
Nous voilà donc prêts à affronter le froid super motivés. Du bord de la laisse de basse mer, impossible de repérer le trou car rien ne matérialise le puits. C’est donc avec quelques repères à terre, une orientation par rapport au point de départ immuable que l’on part rechercher le trou. Peu d’indices sur l’estran pour indiquer l’emplacement. C’est bien normal parce que l’antre est rebouché et quasi invisible. Comme ces cavités ne sont accessibles qu’aux grandes marées et exploitables que deux heures environ, le partage des tâches est important. Alors l’équipe doit être costaude, soudée et vaillante à l’ouvrage. Après avoir arpenté l’estran d’un bon pas, la mer n’est pas encore tout à fait retirée pour tout d’abord apercevoir le trou. Nous scrutons donc la mer qui reflue et à quelques encablures, Valérie me montre enfin l’emplacement du trou, mais il faut vraiment être initié. Le travail commence : premièrement il faut sortir toutes les pierres, les répartir tout autour du puits sur l’estran pour accéder aux casiers à bouteilles. Ici le fond du trou a été comblé par ces casiers pour avoir moins de pierres à brasser. Pas facile de sortir ces casiers incrustés dans les dépôts sablo-vaseux que l’océan dépose à chaque marée. Direction la mer à quelques mètres pour laver au mieux les casiers.
Une organisation indispensable
Avec le seau, Marie-Christine évacue l’eau dans le « treuillou », le réceptacle à crevettes. Claude et Frédérique commencent à sortir le dépôt vaseux avec les pelles du trou. Le travail est pénible et on se relaie. Le puits se vide peu à peu. Le havenet entre maintenant en action pour récupérer les crevettes. Elles sont déposées dans le « treuillou » en ratissant le fond et le pourtour où elles se rassemblent sentant probablement le danger de finir dans l’assiette. Le tri commence dans le « treuillou » pour évacuer le sar. Nous continuons à sortir de lourdes pelletées sablo-vaseuses concentrées sur tout le périphérique du trou. Il y a de moins en moins d’eau. Elle est toujours évacuée avec le seau pour ne pas oublier la moindre crevette. En ratissant le pourtour, Claude déloge un congre qui se débat comme un diable. L’heure tourne, la mer ne va pas tarder à remonter. Pas question donc de ralentir le mouvement. Quelques crevettes sont encore récupérées. Une dernière inspection sur tout le pourtour, et devinez que découvre Claude ? Un joli crustacé avec une grosse pince. Et oui, un homard. Quelle joie car c’est vraiment exceptionnel. Si d’antan, il n’était pas si rare d’attraper quelques homards sur l’estran rhétais, ce n’est plus le cas de nos jours.
Tout remettre en place
Après la joie affichée sur tous les visages, il est temps de remettre les casiers bien en place, d’installer une à une les pierres par-dessus de façon à former une nouvelle fois une invisibilité, de rassembler le matériel, de mettre les crevettes dans un seau, dans l’autre le homard en regardant la mer remonter pour remplir le trou. Il est maintenant temps de regagner la côte. Maintenant quel dilemme ? Pour qui le homard ? Eh bien, c’est Marie-Christine qui est l’heureuse bénéficiaire du homard. Camille, Valérie, Orane, Dominique, Frédérique se partagent les crevettes et je profite d’une bonne godaille. Le homard a-t-il fini Thermidor, à l’américaine, avec un beurre de crevettes ou tout simplement sous le gril du four avec de la fleur de sel de l’île de Ré ? Une jolie découverte cette technique de pêche ancestrale. Pour la mémoire, un devoir de conservation de ces trous est nécessaire pour nous rappeler les pratiques d’antan.