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Les ligneurs du Raz de Sein

Hérissé de courants, de vagues et d’écharpes d’écumes, le raz de Sein est le formidable théâtre de la lutte que se livrent le bar et ceux qui le traquent au péril de leur vie, les ligneurs. On embarque avec Olivier Mevel, un de ces marins de l’extrême. Accrochez-vous bien, ça va sévèrement remuer…

Il est 5 heures du matin et il fait encore nuit sur le port d’Audierne. Nous avons rendez-vous avec Olivier Mevel, ligneur de la pointe bretonne, qui a accepté de nous embarquer, non sans nous avoir demandé si nous étions sujet au mal de mer. En fait nous ne savons pas si nous serons malades. Nous ne savons pas non plus si nous serons capables de faire des images quand nous serons chahutés. Mais pour nous qui sommes passionnés de pêche, les ligneurs sont une vraie légende : généralement seuls, armés de petits bateaux de 7 à 9 mètres, ils traquent principalement le bar dans le raz de sein, au cœur des courants, dans les zones les plus dangereuses. Un grand gaillard s’avance vers nous, la peau tannée par le soleil et les embruns : c’est Olivier. Après une poignée de main, il nous aide à charger notre matériel dans la minuscule cabine du Mundaka.

Départ au petit jour
Crédit photo : Erwan Balança

Une passion pour la mer

Olivier nous informe que pour rejoindre la zone de pêche, il faut compter une quarantaine de minutes. Nous parlons notamment, en buvant un café, du matériel robuste et fiable qu’il utilise, cannes, moulinets, leurres… Discussions de pêcheurs. Olivier a passé son enfance à Plogoff, face au raz de Sein. Ses loisirs favoris étaient déjà la chasse sous-marine et la pêche du bar. Il a ensuite fait des études à la faculté de biologie de Brest, avec, toujours, cette passion pour la mer et ce désir de devenir ligneur professionnel. Cela fait 15 ans qu’il a son propre bateau et qu’il est amoureux et fier de son métier. Nous voilà arrivé sur une zone calme, nous stoppons pour pêcher des lançons. En fonction des saisons, les pêcheurs utilisent différents types de leurres ou d’appâts, en général des vifs, petits poissons de type lançon ou maquereau. Olivier les prend à la mitraillette, les sélectionne et remets les autres, vivants, à l’eau. Il enchaine les captures, qu’il stocke dans un vivier. Nous pouvons maintenant filer vers le lieu de pêche.

Après avoir fait le plein de lançons Olivier monte son matériel pour le bar.
Crédit photo : Erwan Balança

Un biotope exceptionnel

Ici, le jeu des marées occasionne des mouvements d’eau gigantesques, et plusieurs milliers de mètres cubes sont déplacés entre Sein et Ouessant, créant quatre fois par jour des courants puissants qui atteignent parfois les 8 nœuds (15 kilomètres par heure). Ce territoire marin abrite un biotope exceptionnel, où vivent de nombreuses espèces. Homard et langouste rouge, pageot, pagre, barbue, raie, turbot et dorades royales. Mais le bar est sans conteste le seigneur des lieux. Ce prédateur est capable de poursuivre ses proies au cœur des courants les plus violents. Il vit le plus souvent en meute et ces groupes de quelques dizaines, voire plusieurs centaines d’individus, se livrent à une curée sur les bancs de poissons qui essayent de fuir en remontant à la surface. Commence alors le ballet aérien des fous de bassan, goélands et mouettes, véritables indicateurs pour les pêcheurs, et signe que, sous la surface, le poisson est actif. À présent nous nous dirigeons sur la zone de pêche. Enfin nous attendons ce moment depuis longtemps. Pour l’instant, tout semble calme, les eaux sont justes animées par une longue houle d’ouest.

Olivier contrôle la dérive en laissant filer sa ligne
Crédit photo : Erwan Balança

Un lançon armé de deux hameçons

C’est l’étale de basse mer. Nous vérifions notre équipement photo. Olivier fait de même : chaque chose doit être à sa place sur le bateau. À quelques dizaines de mètres de nous, les bateaux des autres ligneurs sont, eux aussi, immobiles. On discute en attendant. Soudain, un groupe de fous de bassan plonge. Ils donnent le top départ. Poussé par un puissant moteur, le bateau file droit sur le secteur où les courants se forment. En quelques secondes, le paysage a changé, la surface de l’eau semble prendre vie, se creuse. Quand ils sont en action, les ligneurs respectent un code précis : le premier arrivé sur la zone est prioritaire et tous font bien attention à respecter ces règles tacites, car il en va du succès de la pêche, mais aussi de la sécurité. Il faut faire attention à ne pas se gêner, ne pas passer sur la ligne d’un collègue et ne pas gêner la chasse, car les poissons, même s’ils sont en pleine activité, s’arrêteraient. Olivier a saisi un lançon dans le vivier, il l’arme de deux hameçons et le tient d’une main, de l’autre il a empoigné sa canne et manœuvre avec les jambes. Il est calme, concentré, attentif à tout ce qui l’entoure. Il lance sa ligne et la laisse filer dans le courant. Le moteur en action, notre pêcheur laisse se dévider la tresse. Soudain, la canne se tord, un bar vient d’attraper le lançon. D’un mouvement énergique, Olivier ferre, et, canne haute, essaye de ramener le poisson au bateau. Le combat commence : aidé par la force du courant, le bar se défend. Une main sur la manette des gaz, une autre sur la bobine du moulinet, Olivier gagne quelques mètres de ligne. Le bateau monte et descend sur l’eau, nous somme sévèrement secoués. Olivier nous lance « Accrochez-vous bien ça va remuer. » Le spectacle est magnifique et il y a quelque chose de grisant à escalader puis à entamer la descente de ces murs liquides.

Il est parfois bon de bien s’accrocher dans de telles conditions extrêmes de pêche.
Crédit photo : Erwan Balança

Un homme-orchestre

Mais il faut rester concentré et garder les pieds écartés pour conserver son équilibre. Nous nous cramponnons fermement à la poignée de la cabine tout en tenant le boitier de l’appareil photo d’une seule main et en appuyant sur le déclencheur. Le bateau est entré dans la zone de turbulences et nous sommes sérieusement chahutés. Olivier remonte la ligne à vive allure, tout en maintenant le cap du bateau. Plus que quelques mètres, j’aperçois le bar en surface, magnifique. Olivier ressemble à un homme-orchestre. La barre coincée entre les jambes, il gère la manœuvre tout en hissant le poisson à bord, avant de le saigner d’un rapide coup de canif derrière les ouïes. Ici, chaque geste compte et une simple ligne qui s’emmêle peut devenir dangereuse. Il nous montre une tête de roche qui émerge lorsque les flots se retirent… En quelques minutes, nous avons dérivé de plus de 500 mètres. De toute la puissance de ses 300 chevaux, le bateau nous propulse à contre-courant vers notre point de départ et nous voilà à nouveau dans la tourmente pour une autre dérive. Nous enchainons les séries de manège. Les bars sont peu nombreux mais beaux.

Les fous de bassan vont donner le signal
Crédit photo : Erwan Balança

Soudain le calme

Puis le courant perd de sa violence, les rouleaux de leur ardeur, les oiseaux disparaissent, nous sommes à mi marée et la pêche se termine. Il faudra attendre une douzaine d’heures pour que l’activité reparte. Olivier est content, il a capturé une vingtaine de bars, nous pouvons rentrer. Sur le trajet du retour, il asperge ses poissons à l’aide d’un manche à eau avant de les rangers avec soin, bien à plat, dans leurs caisses. Il fixe sur l’ouïe de chaque prise une étiquette où figure l’origine géographique : pointe bretagne et surtout la technique de pêche : bar de ligne. Nous mettons le cap sur Audierne, 45 minutes plus tard, le bateau accoste à la cale de la criée. Olivier décharge les caisses et le poisson est rapidement mis à l’abri dans le grand bâtiment réfrigéré. En attendant de trouver preneur tel un met de roi.

Les bars sont de belle taille aujourd’hui.
Crédit photo : Erwan Balança

Quelques jolis lieus se laisseront prendre aussi
Crédit photo : Erwan Balança

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