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Aimara à la mouche : la formidable aventure d'un voyage de pêche à la mouche en Guyane française

Après deux ans d’attente, nous avons enfin pu faire l’expédition que nous préparions avec un ami d’enfance. Voici le récit et les images de cette incroyable aventure en Guyane à la recherche de l'aimara.

En 2019, j’ai rendu visite à Yann pour la première fois. Il était installé en Guyane française depuis quelques années. Dès son arrivée, il me contait la jungle telle qu’il la voyait, une forêt dense et impénétrable à l’apparence peu accueillante. Je me souviens avoir vu sa vision évoluer au fil des mois et des années sur place. Je découvrai ce pays à travers ses mots et plus le temps passait plus cette forêt paraissait accueillante si on l’abordait de la bonne manière. Il m’envoyait des photos d’araignées de toutes tailles, de serpents de toutes les couleurs et de rivières incroyables. Ce qui aparaissait de prime abord comme un enfer vert devenait un délice pour les initiés et pour ceux pour qui les bestioles et l’humidité ambiante sont sympathiques. Peu de temps après, il me parlait de la pêche.

Les serpents sont légion dans la forêt humide de Guyane.
Crédit photo : François Biétry

Entre 100 et 4000 m3 seconde

Yann a toujours été un moucheur et un compétiteur de talent. Minimes, cadets et juniors au championnats de France jeune, il a remporté deux fois le titre ultime de champion de France et a débarqué en pleine jungle avec le bagage technique d’un compétiteur altiligérien. Il a été éduqué à la nymphe à roulette avant que la grippe espagnole ne remplace le 18 centièmes, les bas de lignes polyvalents et que la plupart des moucheurs se mettent à tousser des perdigones. Il me raconte qu’un poisson mystérieux vit dans les eaux noires des fleuves et rivières de Guyane, un carnassier nocturne aux crocs de pitbull et à l’armure de CRS : Hoplias aimara. Mais comment capturer cette créature à la mouche ? On trouve peu d’informations sur Internet et la population est assez inégale en fonction des rivières ou des criques où il vit. La solution : passer des heures et des heures au bord de l’eau à le chercher et tenter de le comprendre. Après plusieurs années à vivre au bord du fleuve faisant office de frontière avec le Brésil, Yann décode de plus en plus finement le comportement de ce poisson qui évolue dans un milieu fluctuant entre 100 et 4 000 mètres cubes seconde de la saison sèche à la saison des pluies.

Les Aimaras peuvent peser jusqu’à vingt kilos, le record en Guyane est de 18 kg.
Crédit photo : François Biétry

Une soie de 12

En novembre 2019, je prends enfin l’avion jusqu’à Cayenne avec deux cannes de 9, soie de 10 et quelques gros streamers. Ce premier séjour tant attendu fut une magnifique découverte de la forêt Amazonienne avec mon ami devenu expert en bestioles et connaissant la rivière comme sa poche. J’ai eu la chance de piquer quelques-uns de ses aimaras à la mouche, mais mon matériel était largement insuffisant pour maîtriser ces diables noirs qui n’ont qu’une idée en tête après avoir croisé le fer : retourner au plus profond des blocs de granite tranchant où ils demeurent. En décembre 2023, avec une idée plus précise de ce que je vais trouver dans cette forêt, je pars avec une 7’9 pour soie de 12 en fibre de verre montée avec soin et rigueur par mon ami Laurent Kieffe, un philosophe, Rodbuilder, lanceur fou, et blank geek invétéré. Après une longue discussion concernant mes besoins, lui décrivant le style de pêche et la violence à laquelle allait se confronter ce blank, il me parle de cette canne atypique… « Alors, dit-il, elle a le diamètre d’un néon de supermarché, soulève un labrador sans effort et les Espagnols pêchent des silures de 2 mètres avec ! » Parfait !

Une véritable aventure humaine.
Crédit photo : François Biétry

Mouchalagan en fibre

Entre deux Rhums cubains sur le coin d’une table du mythique Black Sonata d’Argentat, la commande est passée : un gros moulin, une soie intermédiaire pour la GT, des streamers monstrueux à palettes et je repars pour Cayenne. Cette fois-ci, nous partons avec Yann pour une expédition de 12 jours en autonomie à bord d’un mouchalagan en fibre (canoë traditionnel Canadien). Au programme, traverser le plus grand lac des territoires français (DOM-TOM inclus) à la pagaie puis remonter son affluent sur plusieurs kilomètres. Avec une moyenne de 30 km par jour, canoë chargé, nous posons nos hamacs à destination au quatrième jour du périple. À notre arrivée, après avoir craqué nos deux dernières bières fraîches, le temps est venu de préparer le matériel. J’ai pris soin de refaire une boucle sur la soie, avec une ligature au fil de montage de plusieurs centimètres, sur les conseils d’un ami qui aime tirer très fort sur sa soie lorsqu’il est accroché à une GT. 80 centièmes fluorocarbone en direct, puis câble acier de 80 lbs, un Rolling Agraphe puis une serpillière en Magic carpet grande comme la main d’un ogre, montée sur un 10/0 armé d’une palette feuille de saule brillant au milieu des fibres flashy. Le pop du bouchon d’un Saint-Émilion Grand cru retentit dans la jungle pour fêter notre arrivée ; la glacière gardait encore notre ultime repas de produits frais du séjour : magret de canard avec pommes de terre à la sarladaise mises sur le feu pour réconforter nos âmes trempées.

François avec un beau spécimen capturé entre les blocs de granite.
Crédit photo : François Biétry

Au petit jour

À la pointe du jour, à peine couchés et déjà levés, cannes montées et streamers affûtés, Yann aux commandes du bateau, nous attaquons la pêche sur le bas du saut (terme local pour désigner un rapide dans une rivière). Debout à l’avant du canoë, je claque de toutes mes forces le streamer au pied du chaos granitique où la rivière bouillonne. Quelques lancers plus tard, je me fais presque arracher la canne des mains, une seconde après avoir posé la mouche à l’eau. Déboussolé par la brutalité du choc, je ferre trop tôt et loupe bien proprement la première touche du séjour. Après quelques jurons et grognements, nous posons le canoë sur un gros bloc en plein milieu du saut et décidons de remonter le courant en slalomant dans le chaos à la recherche de « pockets » où claquer nos streamers. En équilibre sur un tronc à demi immergé, Yann décroche un poisson apparemment énorme… Les aimaras peuvent peser jusqu’à vingt kilos, le record en Guyane est de 18 kg… J’arrive sur un poste, je me stabilise en anticipant une touche brutale et fais taper à bout portant mon streamer entre deux énormes blocs. Avant même d’avoir pu faire la première animation, la fibre de verre plie jusque dans la poignée.

L’Aimara est un prédateur étrange doué d’une force impressionnante.
Crédit photo : François Biétry

Premier aimara

J'appelle Yann pour qu'il m'aide à épuiser le poisson piqué deux mètres en dessous de moi. Après une lutte de titan à faire des sauts de cabri de bloc en bloc, Yann met à l’épuisette le premier aimara du séjour. Ça y est, la case est cochée. Une sensation connue par toute personne ayant déjà voyagé : le soulagement couplé à la satisfaction de la première prise. Une fois le poisson dans l’épuisette, une hésitation : les dents de chien serrées sur le streamer en miette ne donnent pas vraiment envie d’y mettre les doigts ! Hors de question de percer la bouche du poisson au boga-grip. Comme pour un grand brochet, une prise délicate sous l’opercule sécurise la manipulation de cette bête préhistorique sans encombre. Après quelques photos, Hoplias aimara retrouve sa tanière immergée de granite.

Un camp de base plutôt rustique !
Crédit photo : François Biétry

Au rythme de la forêt

Après cette prise, nous avons enchaîné de magnifiques aimaras aux alentours de ce saut durant les quatre jours qui suivirent. Pluie torrentielle, hamacs mouillés et portions lyophilisées militaires ont rythmé nos sorties d’exploration des environs à la pagaie. Les provisions presque épuisées, nous avons dû nous résigner à quitter ce paradis vert, hors du temps, pour reprendre la navigation vers la civilisation. Après neuf jours et demi, mouchalagan chargé des restes de provisions et de nos quelques affaires personnelles, nous reprenons le chemin du retour. Sur le trajet, moins pressés par notre objectif initial, nous avons suivi le continent et prolongé notre parcours de 40 km pour explorer ruisseaux et bouts de jungle n’ayant peut-être pas croisé d’humains depuis des décennies. Aras rouges, singes atèle, capucins, singes hurleurs criant au loin leurs râles rauques du haut de la canopée et les lourdes traces de tapirs nous rappelaient tous les jours que nous étions des intrus dans cette forêt. Forcés au respect par la nature, nous avons tenté de disparaître entre les arbres immergés pour essayer d’observer le prédateur ultime, le jaguar. Lui nous a sûrement vus, mais n’a pas décidé de nous honorer de sa présence. Quel soulagement de quitter la pression des soucis non-essentiels de la vie de tous les jours. Pas de réseaux, pas de pollution. L’unique option était d’être présent là où nos pieds étaient posés, comme mis à l’heure par la forêt, nous avons docilement vécu à son rythme.

Préparation d’un repas dans un pays maintenant devenu plus sympathique…
Crédit photo : François Biétry

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