Jean-Sylvain Ami, facteur d'épuisettes

C’ est près de Saint-Girons, dans l’Ariège, que je me suis rendu pour rencontrer Jean-Sylvain. Un joli village traversé par un ruisseau bordé par les contres forts des Pyrénées et, bien sûr, aucun réseau téléphonique ni GPS pour accéder à sa maison accrochée à flanc de colline… Nous avons tout de même fini par nous trouver et j’ai fait la rencontre d’un homme aussi passionné que passionnant. Il m’a tout d’abord ouvert son atelier et m’a expliqué simplement les différentes phases de la conception de ses épuisettes. Le travail du bois m’a toujours intéressé voire fasciné. Cette matière vivante est une des plus nobles je trouve. Il y a tant d’essences, de couleurs, de formes et de textures dans le bois que les possibilités de le travailler n’ont de limites que celles de notre imagination.

Pas de place au hasard

Jean-Sylvain a un mot d’ordre, construire principalement avec des variétés locales qui offrent les meilleures caractéristiques possible aux contraintes que demande l’assemblage d’une épuisette. La solidité, la flexibilité, l’imperméabilité, rien n’est laissé au hasard. Ainsi, ma première surprise a vraiment été la légèreté des objets créés ! J’utilise depuis fort longtemps des épuisettes en bois mais qui sont, je pense, près de deux fois plus lourdes que celles de Jean-Sylvain ! J’émis donc un doute sur la robustesse mais JS me tordit ses magnifiques créations dans tous les sens m’expliquant que seule l’élasticité de certains bois permettait ce résultat étonnant. Cela fait maintenant une saison que je maltraite ses œuvres d’art et, je dois dire qu’en effet, elles résistent particulièrement bien ! L’autre particularité est que JS travaille seulement pour l’instant sur commande et fait donc du véritable sur mesure. Une fois la taille de l’épuisette choisie, il vous proposera plusieurs projets de manches, de gravures, voire d’incrustations avec d’autres essences de bois, de la corne ou de l’os par exemple. Naîtra ainsi un objet unique et, qui plus est, sera un accessoire de pêche aussi efficient et performant que beau. Jean-Sylvain a créé, il y a quelque temps déjà, sa société « Air and Water » et propose également pour le moucheur, des porte-cannes pour le réservoir, des présentoirs pour cannes et moulinets en passant par des tablettes de montage de mouche personnalisées. Partons à la rencontre de cet artisan qui met son art et son savoir-faire au service d’autres passionnés et cela, pour notre plus grand plaisir !

COMMENT, OÙ ET À QUEL ÂGE AVEZ-VOUS COMMENCÉ LA PÊCHE À LA MOUCHE ?

Jean-Sylvain Ami : Ayant toujours pêché depuis l’enfance tant au toc, à la cuillère qu’au leurre, j’ai commencé la pêche à la mouche il y a 14 ans. La première prise fut dans un petit lac du Valais Suisse. Ce n’est qu’à cette époque, alors que je décrochais de ma carrière de snowboardeur, que par le biais de deux amis j’ai mis le doigt dans le milieu de la pêche à la mouche qui m’a depuis bien mangé le bras et le reste ! C’est d’ailleurs un peu grâce à Pêche Mouche que j’ai mis les pieds dans ce milieu car, pour l’anecdote, à la suite d’une blessure en snowboard et un passage en chirurgie, ma mère, pour me faire patienter m’a amené quelques magazines à l’hôpital dont un numéro de Pêche Mouche et ce fut le déclic ! En sortant de l’hôpital j’ai acheté pour 200 € de matériel de montage et l’aventure était lancée !

QUAND ET POURQUOI AVEZ-VOUS COMMENCÉ À FABRIQUER DES ÉPUISETTES ?

J.-S. A. : Fils de menuisier, j’ai grandi au contact du bois et j’ai toujours pris plaisir à fabriquer toutes sortes d’objets. C’est donc tout naturellement que j’en suis venu à confectionner mes premières épuisettes. C’est encore une fois un article paru il y a 10 ans, dans Pêche Mouche, sur un bel artisan (Astegliano de mémoire) facteur d’épuisettes qui m’a inspiré à l’époque. J’ai donc pris mes outils et commencé à travailler mes premiers modèles que je voulais les plus adaptés possible à ma pêche !

QUEL TYPE DE BOIS UTILISEZ-VOUS ET POURQUO I?

J.-S. A. : J’aime à travailler le plus localement possible. Structurellement, j’utilise donc principalement du robinier et du frêne pour leur flexibilité ainsi que leur dureté, le robinier a également la particularité d’être quasi imputrescible. Ne travaillant que sur commande, pour ce qui est de l’emmanchement, les essences de bois peuvent varier selon les desiderata de chacun mais je travaille généralement avec du merisier.

QUELS SONT LES AUTRES OBJETS QUE VOUS POUVEZ FAIRE SUR MESURE ?

J.-S. A. : À l’heure actuelle, je propose une gamme assez variée d’objet en bois allant de l’épuisette au porte-cannes mural, porte-cannes réservoir, porte-clefs, planches à découper aux ruches et trophées. Cette petite liste n’est pas exhaustive car tout est envisageable et il n’y a que peu de limites dans les possibilités de création ! Mon concept de base est de travailler sur mesure afin de proposer des produits au plus près des désirs de mes clients en leur laissant choisir des personnalisations telles que la gravure (à la main), la sculpture, les incrustations, etc. Je reste évidemment ouvert aux demandes spécifiques et mes créations ne se cantonnent pas forcément au milieu de la pêche à la mouche !

QUEL EST VOTRE MEILLEUR ET VOTRE PIRE SOUVENIR DE PÊCHE ?

J.-S. A. : Vaste question que celle-ci tellement de bons souvenirs et peu de mauvais mais, à choisir, j’aborderai un de ceux qui allient bien les deux ! Et quoi d’autre qu’une histoire de gros poissons pour jouer de l’ascenseur émotionnel et passer du rire aux larmes ! L’histoire se passe donc il y a une douzaine d’années. À mes débuts dans la pêche à la mouche, je prospectais entre la Savoie et l’Isère dans les petits affluents du Rhône. Au cours de mes recherches, je suis tombé sur un canal de dérivation aux eaux toujours très claires qui se jetait dans un petit étang correspondant avec le grand Rhône. Le spot semblait donc très prometteur ! J’y repère tout de suite deux gros ombres au tombant de la cascade et débute ma session de pêche. Très vite, je prends le premier qui fait un bon 45 soit déjà un très beau trophée pour moi qui, à l'époque, débutais tout juste ! Le second étant calé au fond, le nez contre une dalle, et n’ayant à l’époque pas de nymphe suffisamment lourde pour descendre rapidement, je passais une bonne heure à tenter en vain de le faire prendre sans jamais réussir à descendre ma nymphe là où il fallait. Concentré sur mon ombre récalcitrant, je ne prêtais donc pas attention dans un premier temps à une grosse carpe qui vint se poster à tout juste un mètre de mes pieds dans 70/80 cm d’eau. Ce n’est qu’après quelques minutes, peut-être une dizaine, que ce poisson m’intrigua et attira plus précisément mon regard et là, un frisson me traversa l’échine… Je compris tout de suite qu’il ne s’agissait pas d’une carpe, ni d’une brême mais il me fallut encore quelques minutes avant de réaliser et croire en ce que je voyais ! Les points rouge et noir de la taille d’une pièce de monnaie ne laissaient que peu de doute quant au poisson que j’avais devant moi, mais sa taille totalement hors norme me laissait douter pendant encore un instant… J’avais devant moi une truite qui avoisinait ou passait même le mètre ! Très fébrile et sans la moindre expérience, j’ai quand même eu la présence d’esprit de renforcer ma pointe passant du 12 au 18/100 avant de tenter une dérive ! Il suffit d’un passage pour que, comme dans un rêve, je vis non pas une bouche mais un « four » s’ouvrir et se refermer sur ma petite nymphe. La suite fut très rapide et le retour à la réalité très violent… Après un ferrage propre, le monstre, mit deux violents coups de tête, fit deux allers-retours en travers du canal puis opéra un demi-tour et partit dans l’étang ! Un monstre inarrêtable qui, malgré ma course désespérée le long de la berge, me cassa violemment… Ce moment restera inscrit à jamais comme un des meilleurs et des pires souvenirs de ma vie de pêcheur !

QUELLE EST VOTRE TECHNIQUE DE PÊCHE PRÉFÉRÉE ET POURQUOI ?

J.-S. A. : Il m’est difficile de définir la technique que je préfère car je prends autant de plaisir à pratiquer chacune d’entre elles ! La pêche à vue reste évidemment toujours plus excitante, que ce soit en sèche en nymphe ou au streamer. Le fait de voir le poisson évoluer et le voir engamer sa mouche procure toujours des sensations incroyables !

QUEL EST VOTRE COIN DE PÊCHE PRÉFÉRÉ EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER ?

J.-S. A. : Je n’ai pas vraiment de coin de pêche préféré en France, trop de belles rivières pour n’en citer qu’une ! Les Pyrénées ont de très belles rivières et j’ai la chance d’être assez bien loti avec le bassin du Salat à deux pas de chez moi ! Originaire de Savoie, j’ai pu également me régaler dans les rivières alpines. La liste est tellement longue, les Hautes-Alpes, le massif central, la Bretagne, etc. Et on parle là uniquement des rivières ! Notre pays est un véritable paradis pour la pêche qui, mieux géré, pourrait égaler sans souci nombre de destinations étrangères mythiques ! Pour ce qui est de l’étranger, c’est encore plus dur de choisir. Mais si je dois en élire une, je dirais la Patagonie qui offre des pêches merveilleuses dans un cadre encore très préservé au sein d’une nature rude mais tellement belle !

QUEL VOYAGE(S) RÊVEZ-VOUS DE FAIRE OU QUEL(S) POISSON(S) RÊVEZ-VOUS DE METTRE DANS VOTRE ÉPUISETTE ?

J.-S. A. : J’avoue avoir quelques rivières dans lesquelles j’aimerais tremper mes mouches, des destinations souvent peu inaccessibles avec un petit budget malheureusement… Les contrées sauvages comme la Mongolie, la péninsule de Kola, l’Islande et tant d’autres me tentent vraiment ! Étant un vrai « trout addict », mes destinations sont souvent liées à nos chers salmonidés mais j’avoue qu’après avoir eu la chance d’en découdre avec les dorados sur le Rio Parana, je rêve de pouvoir les traquer un jour en Bolivie dans de petites rivières. Cette pêche doit être incroyable !

ALLEZ-VOUS DÉVELOPPER DE NOUVEAUX PRODUITS EN BOIS ?

J.-S. A. : J’ai toujours quelques projets ou améliorations en tête, c’est un peu la base de mon activité et de la pêche elle-même ; toujours chercher à innover et affiner les techniques ! J’ai pris le parti de ne travailler presque qu’exclusivement sur mesure car cela pousse justement à relever de nouveaux défis pour satisfaire mes clients et je reste toujours ouvert aux demandes spécifiques de chacun !

Vous pouvez contacter Jean-Sylvain et découvrir quelques-unes de ses créations et mouches sur son site Internet : https://www.air-and-water.fr