Au moment de son ouverture, fixée au mois de mai chaque année, l’ombre n’est pas encore remis des conséquences de la fraie : blessures, amaigrissement, fatigue, « naïveté »… Autant de facteurs qui le rendent vulnérable, plus facile à leurrer et dans une situation délicate lors de sa remise à l’eau. Bien que, dans certains cours d’eau, la reproduction débute dès la mi-mars, elle se déroule plus généralement vers la mi-avril dans la plupart des rivières où il réside encore. Autrement dit, sa pêche n’ouvre guère plus d’un mois plus tard. C’est un peu comme si nous pêchions la truite à la mi-janvier. Il ne faut donc pas perdre de vue que c’est à des ombres très fragiles que nous avons affaire en ce début de saison.
Un peu d'éthique
Sans même parler de ceux qui se prennent pour des champions en attaquant les ombres en sèche au moment des « culs verts » en avril, ou encore de ces pêcheurs indélicats (pour rester poli) qui s’amusent à bombarder de nymphes les ombres dès l’ouverture de la truite, voire parfois, hélas, sur leurs zones de reproduction en avril, arguant du fait qu’ils les remettent à l’eau, on peut s’interroger sur la qualité du plaisir que l’on peut tirer à pêcher des poissons affaiblis et parfois boulimiques. Je préférerais bien sûr une ouverture à la mi-juin et une fermeture au milieu ou à la fin du mois de décembre ! Chaque année, je me pose donc la question de pêcher l’ombre dès l’ouverture, alors que les truites sont en pleine forme, et d’embêter les rares troupeaux clairsemés qu’ont bien voulu nous laisser les cormorans et les pollutions récurrentes. Mais, chaque année, comme vous bien sûr, je craque quand même en voyant deux ou trois beaux gobages sur les « grands lisses », surtout les jours où les truites boudent et restent bouche cousue. Alors oui, pourquoi pas ? Allons-y, puisque sa pêche est ouverte. Mais je demande à tous, plus que durant n’importe quelle autre période de l’année, de pratiquer cette pêche printanière dans le plus grand respect : utilisez des mouches à hameçon sans ardillon ; installez une pointe de bas de ligne du plus fort diamètre possible ; et au lieu de descendre en dessous du 12/100, soignez plutôt vos dérives ! Abrégez la durée du combat, ce qui est d’autant plus facile à cette période durant laquelle les ombres ne sont pas au mieux de leur forme ; évitez de sortir les poissons de l’eau pour les décrocher et soutenez-les sans les presser, main à plat sous le ventre. Enfin, oubliez les selfies ridicules et autres photos plus ou moins inutiles, qui ne flattent que les frimeurs et ne feront jamais de vous des champions ! Ces précautions prises, on peut évidemment trouver quelque plaisir à pêcher les ombres au printemps.
Nymphe à vue et nymphe au fil
Dans les rivières cristallines où les populations d’ombres sont encore présentes, le début de saison est une bonne période pour essayer ces poissons en nymphe à vue. C’est, du reste, une excellente école pour ceux qui veulent progresser dans cette technique si délicate, sans doute la plus exigeante qui soit. Les ombres sont en effet très actifs à proximité du fond ou entre deux eaux et se laissent approcher plus facilement que les truites, qui naviguent de poste en poste et s’effarouchent à la moindre anomalie venant perturber leur environnement. Cela ne signifie pas que ces ombres, peu farouches en apparence, ne vous ont pas repéré, mais au moins vous laissent-ils la chance de les attaquer et, pourquoi pas, de les leurrer. À cette période de l’année, les petites troupes s’activent à la recherche de larves fouisseuses ou nageuses et se montrent souvent bien actives, au point d’oublier votre présence au bout de quelques minutes. Prenez donc le temps d’observer leur comportement. Des écarts latéraux assez rapides indiquent la prise de larves nageuses. Il s’agit bien souvent de larves de baétidés. Si vous n’êtes pas un spécialiste de la nymphe à vue ou du parcours pêché, contentez-vous de présenter une nymphe classique et optez pour « Le » modèle qui a fait ses preuves partout : la bonne vieille pheasant tail ! D’autres imitations fonctionnent très bien également, comme les nymphes à abdomen olive, clair ou sombre, et sac alaire en pardo, ou les perdigones très peu plombées, « menthol », « gazoline » ou « naturelles » (en poils de lièvre, finement cerclé de cuivre ou laiton).
Les zones sableuses
À d’autres moments, vous trouverez les ombres affairés dans des zones un peu sableuses ou argileuses, semblant se nourrir doucement sur le fond. Il se peut alors qu’ils prennent des « nymphes » de mouches de mai. Enfin, pensez à garnir vos boîtes de nymphes de trichoptères et d’ecdyonuridés, que l’on trouve surtout dans les secteurs riches en galets et blocs rocheux, ainsi que quelques gammares utiles pour pêcher les zones pourvues en herbiers. Rappelons les principes de base de cette pêche. Il faut poser très en amont de l’axe où se trouve le poisson avec le maximum de précision et ne plus quitter celui-ci des yeux. Si vous le voyez se déplacer vers une zone où vous estimez que se trouve votre nymphe, surveillez bien son comportement. La plupart du temps, l’ombre écarte ses nageoires pectorales pour se stabiliser juste avant d’engamer la nymphe. Même si vous ne voyez pas sa petite bouche s’ouvrir, ferrez juste après avoir repéré ce signe. En ce qui concerne la nymphe au fil, on ne s’étendra pas longuement sur cette technique bien connue des lecteurs et de tous les pêcheurs d’ombres qui en ont fait leur pratique favorite, souvent par flemme, parfois par nécessité ! C’est en effet la seule pratique possible dans les rivières où l’on ne voit pas les poissons et dans lesquelles aucun gobage ne se produit. La période printanière est plutôt favorable à cette technique dès que les eaux sont un peu réchauffées. On peut aussi bien opter pour des modèles à billes classiques, « naturels », de lourds javis, que pour les perdigones plus ou moins lestées. Vous constaterez qu’à cette période de l’année, c’est assez souvent la nymphe installée en potence qui est prise, et parfois même dès la descente. Cela indique qu’à ces moments-là les ombres ont les yeux tournés vers « l’entre-deux eaux » ou la surface, prêts à intercepter des larves nageuses, et qu’il est alors peut-être temps de pêcher avec des modèles plus légers et « planants » qu’à l’accoutumée.
En sèche
À partir de la fin du mois de mai, les conditions deviennent favorables pour la pêche en sèche, dès que les eaux sont « en état ». Il n’est alors par rare de voir les ombres venir cueillir en surface subimagos et imagos de toutes les espèces présentes à cette période de l’année. Il s’agit évidemment, et avant tout, des baétidés, tantôt « olive », tantôt gris plus ou moins foncé. On l’a souvent écrit, le stade subimago est le plus apprécié, et les meilleures conditions sont offertes aux pêcheurs en début d’éclosion. D’innombrables modèles existent pour imiter ces insectes et chacun fait confiance à sa mouche « infaillible ». Pour ma part, j’utilise à cette période de la saison trois types d’imitations de ces insectes :
• un parachute à toupet gris anthracite, colerette en coq limousin gris gauloise, thorax en lièvre et abdomen en dubbing gris sombre cerclé de cuivre ;
• un modèle passe-partout en lièvre et CDC, corps olive en quill, semblable à celui proposé par Florian Stephan ;
• un modèle à deux ailes en pointes de hackles gris rouillé rabattues à 45 ° vers l’arrière, corps olive-gris-jaune sale assez clair en dubbing et cerques en pardo médio, pour imiter les imagos.
Pensez également à remplir vos boîtes de petits modèles de trichoptères gris tavelés en pardo. Les grands « sedges » ne sont pas encore de la partie à l’ouverture, mais dès le mois de juin, il faudra également y penser, car les ombres s’y intéressent presque autant que les truites, contrairement à ce que croient certains pêcheurs. Enfin, les imitations de chironomes (présents presque toute l’année dans la plupart de nos rivières) et quelques modèles « fantaisie » (petits « tags », « voiliers » au corps bleu-vert-mauve mêlés par exemple) peuvent utilement compléter la boîte. Espérons que les opportunités de s’amuser avec les ombres ne manqueront pas en ce début de saison, mais n’oublions pas que ces poissons sont rares et fragiles et que nous devons, plus que jamais en cette période, les remettre à l’eau dans les meilleures conditions possible.