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Les rigoles, frayères à truites des Vosges, un bel exemple d'aménagement !

C’est une évidence, les frayères font partie des paramètres d’habitat essentiels au bon fonctionnement d’une population de truites. Elles doivent être suffisantes en quantité et en qualité (c’est-à-dire peu colmatées) pour que la reproduction naturelle puisse générer une bonne production d’alevins. Mais les aménagements subis par nos rivières peuvent considérablement les perturber. C’est ce qui s’est produit dans les Vosges, où les AAPPMA ont réagi en aménageant des « rigoles », qui sont autant d’annexes hydrauliques servant à la fois de frayères et de nurseries. Un bon exemple d’action sur l’habitat qui mérite d’être détaillé.

Commençons par planter le décor. Entre le XVIIe et le XIXe siècle, de nombreuses prairies d’altitude des vallées vosgiennes étaient irriguées grâce à un réseau de rigoles. Outre l’apport d’eau, ces rigoles permettaient de faire dégeler plus rapidement les prairies et de les fertiliser grâce aux limons déposés lors des crues. Elles étaient évidemment colonisées par les truites des rivières auxquelles elles étaient reliées, et qui y trouvaient d’excellentes zones de reproduction ainsi que des nurseries très favorables à la survie et au grossissement des alevins. Mais, à partir de la fin du XIXe siècle, la révolution industrielle change la France. L’eau est désormais prioritairement utilisée pour produire de l’énergie ! De nombreux barrages à vocation énergétique sont créés et les droits d’eau servent désormais à l’énergie hydraulique. Les rivières subissent également des modifications importantes, souvent reprofilées et recalibrées pour les fixer, avec une forte tendance au rétrécissement du lit mineur dans tous les secteurs où elles pouvaient divaguer ou tresser.

Les rigoles frayères sont de petites annexes hydrauliques, qui mesurent le plus souvent de 0,50 à 1 m de large. Elles peuvent pourtant permettre la production de bonnes quantités d’alevins. 
Crédit photo : Marc Gehin

Puis l’agriculture change elle aussi, sous l’effet de la mécanisation des opérations de traitement des sols et de l’utilisation d’engrais à plus grande échelle. Les frayères des rivières sont finalement drastiquement réduites, et les affluents de moins en moins accessibles en raison des nombreux obstacles créés. Quant à ces fameuses rigoles d’irrigation, elles sont abandonnées progressivement. La fédération de pêche des Vosges estime que sur les 5700 ha de prairies irriguées dans le sud du massif vosgien en 1852, il n’en subsiste plus que 20 ha en 1970. Plus de 95% du réseau de rigoles d’irrigation a donc disparu ! Si on y ajoute la forte dégradation des frayères des rivières principales, on voit que le tableau n’est pas rose…

Quelques petits blocs bien placés font office de déflecteurs pour diversifier les écoulements et créent des abris pour les truites.
Crédit photo : Christophe Hazeman

Une réhabilitation à grande échelle

La fin du XXe siècle marque un tournant dans la vision de la gestion des eaux à truites. C’est la fin du tout empoissonnement et la tendance est désormais à la gestion patrimoniale. Dans les Vosges, les AAPPMA s’orientent vers deux grandes actions : restaurer la continuité écologique, en aménageant et détruisant des barrages d’une part, et restaurer des frayères en recréant les annexes que constituaient les rigoles d’irrigation d’autrefois d’autre part, afin de pallier la disparition des zones de reproduction des rivières principales. Les AAPPMA recréent donc des annexes qui vont servir de frayères sur la base des rigoles d’autrefois : elles sont étroites (0,50 à 1 m), peu profondes, avec une pente le plus souvent comprise entre 1 et 2% pour maintenir de bons courants. Le lit est composé d’un substrat d’une granulométrie correspondant à ce que recherchent les truites pour se reproduire (graviers et petits galets, de 1 à 8 cm de diamètre moyen). Des dispositifs permettant de réguler le débit sont souvent installés à l’entrée de ces rigoles, afin de contrôler la quantité d’eau qui y rentre et de la maintenir à des valeurs favorables, le plus souvent comprises entre 10 et 20 l/s. Enfin, des dispositifs de mise en défens contre les oiseaux piscivores (les hérons particulièrement) sont installés afin de protéger les truites, très vulnérables à la prédation dans ce genre de milieu, surtout en période de reproduction. Évidemment, les connexions de ces rigoles aux rivières sont également aménagées afin d’en favoriser l’accès aux géniteurs peuplant ces secteurs.

Le fond des rigoles doit être composé de graviers et de petits galets roulés, du diamètre utilisé par les truites pour y creuser leurs frayères (1 à 8 cm en moyenne). 
Crédit photo : Christophe Hazeman

L'engouement sur le terrain

Sur la période 1980-2020, une vingtaine d’AAPPMA vosgiennes se sont lancées dans ce projet et ont créé une ou plusieurs rigoles frayères. Au total, 15 km de ces annexes hydrauliques ont été remises en état, pour une surface totale de 7 500 m² de frayères potentielle. Le potentiel de recrutement, estimé par la fédération de pêche des Vosges, équivaut à 225 000 œufs sur la base d’un retour d’expérience de 1 frayère/10 m² de rigole et de 300 œufs/frayère. Évidemment, ce travail de création ou de restauration d’annexes hydrauliques ne doit absolument pas remplacer celui qui peut et doit être réalisé sur les axes principaux des cours d’eau. Et il ne constitue pas non plus une solution miracle ! Mais il est tout de même très intéressant, plus particulièrement dans certains cas de figure. Il est notamment très adapté aux cours d’eau fortement enclavés, dans lesquels les possibilités de circulation des truites sont durablement empêchées, et qui sont également caractérisés par un faible nombre d’affluents accessibles et favorables à la reproduction. Ces aménagements ne sont en revanche pertinents et efficaces que dans les cours d’eau dont la température reste compatible avec une bonne survie des truites, c’est-à-dire qui ne dépasse pas durablement les 18°C. Ces rigoles frayères semblent en outre d’autant plus intéressantes dans les cours d’eau souffrant de crues fréquentes qui peuvent lessiver les frayères ou nettement impacter la survie des alevins, compromettant ainsi le recrutement. Les annexes offrent en effet des zones de reproduction et de nurserie plus protégées de ces crues.

Un vannage est installé pour contrôler le débit du courant. Celui-ci ne doit être ni trop fort ni trop faible, 10 à 20 l /s la plupart du temps. 
Crédit photo : Marc Gehin

De la cohérence

Ces annexes hydrauliques ne constituent une solution intéressante que dans les cas où le dysfonctionnement constaté concerne bien les frayères, qu’elles soient inaccessibles aux géniteurs, ou encore insuffisantes ou de mauvaise qualité. Une analyse préalable est donc essentielle afin de ne pas se lancer dans ce genre de mesure en vain. Enfin, une approche quantitative comparant le linéaire et la surface créés aux dimensions de la rivière, dans le but de conserver un minimum de cohérence si l’on veut que les effets soient significatifs, est toujours utile si ce n’est indispensable. Il faut aussi avoir pleinement conscience que, d’un point de vue opérationnel, ce genre d’intervention nécessite des moyens financiers importants puisqu’il implique une part de maîtrise foncière conséquente. Il faut aussi des moyens humains, car ces rigoles frayères nécessitent une bonne surveillance et un entretien très régulier, notamment au niveau de la prise d’eau afin de ne pas courir le risque d’un assec. Et cet investissement humain n’est pas toujours le point le plus facile à résoudre.

Cette belle truite peut se reproduire grâce au travail des AAPPMA. 
Crédit photo : Marc Gehin

Inscrites à l’inventaire des frayères

Pour mieux les protéger, les rigoles créées dans les Vosges ont été inscrites à l’inventaire des frayères (arrêté préfectoral pris en application des articles L432-3 et R432-1-5 du Code de l’environnement). Pour plus d’informations : fédération de pêche des Vosges - 31 Rue de l’Estrey - 88440 Nomexy - Tél. : 03 29 31 18 89 - Site : www.peche88.fr

La création de rigoles frayères nécessite des moyens, notamment humains pour mener à bien ce projet et pour l’entretien des ruisseaux ensuite.
Crédit photo : DR

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Biologie - Environnement

Magazine n°934 - Mars 2023

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