Sur les huit parcs nationaux métropolitains, quatre sont situés en zone de haute montagne : Vanoise, Écrins, Mercantour et Pyrénées. On pourrait croire intuitivement, étant donné les mesures fortes de préservation de l’environnement dans les cœurs de ces parcs (autrefois appelés « zones centrales »), que la pêche n’y est pas autorisée. Or, il n’en est rien et, contrairement à la chasse et la cueillette qui sont prohibées, la pratique de notre loisir favori est possible dans chacun d’entre eux. C’est une excellente information pour les pêcheurs randonneurs avides d’activités de pleine nature et de beaux paysages. Il faut remonter un peu dans le temps pour comprendre d’où vient cette chance qui nous est offerte.
Un peu d'histoire
Née aux États-Unis dès le XIXe siècle, l’idée de préserver des territoires emblématiques de la diversité biologique s’est imposée en France avec la loi de 1960 relative à la création des parcs nationaux. Les premiers sont ceux de la Vanoise et de Port-Cros, créés en 1963. Celui des Pyrénées est ouvert quatre ans plus tard et suivront dans les années 1970 ceux des Écrins et du Mercantour, pour le sujet qui nous concerne. Dès le départ, le parc national « à la française » a pour vocation d’allier les actions humaines et la protection de la nature. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le maintien de l’activité halieutique qui préexistait à leur création. Dans les Pyrénées et les Alpes, il y avait en effet une tradition ancestrale d’alevinage des lacs de montagne, et parfois des tributaires, pour nourrir les bergers et les villageois. Les gestionnaires des parcs ont donc choisi le statu quo au moment de leur création : c’est-à-dire le maintien de la pêche ainsi que la permis sion des alevinages dans les lieux qui l’étaient déjà historiquement.
Des potentiels différents
Un demi-siècle plus tard, ces possibilités sont toujours en vigueur avec des nuances et une dynamique qu’il convient de préciser. Rappelons tout d’abord que les zones centrales des parcs sont situées à des altitudes élevées, supérieures à 1 100 m pour les Pyrénées et 1 300 m pour la Vanoise, à titre d’exemples. Elles offrent donc des écosystèmes aquatiques (lacs, torrents et ruisseaux d’alpages) peu favorables à la survie et à la reproduction des poissons. Le pourcentage des cœurs de parc où la pêche est envisageable est donc assez fortement corrélé aux autorisations ou non d’alevinage. Pour celui de la Vanoise, c’est seulement 8 lacs (sur un total de 84) et 8 cours d’eau (sur 146) qui sont « ouverts » à la pêche, représentant moins de 5 % de ce territoire. C’est un peu plus pour les Écrins, avec 15 lacs et tous les cours d’eau en théorie, mais qui ne sont pas tous peuplés. Dans le Mercantour, les lacs autorisés pour l’alevinage sont au nombre de 26, auxquels il faut rajouter ceux où les salmonidés (farios ou ombles) ont réussi à se naturaliser. C’est dans les Pyrénées que le potentiel halieutique apparaît le plus important, avec plus d’une centaine de lacs « alevinables » et 23 cours d’eau ou tronçons de cours d’eau.
Quelle réglementation en cœur de parc ?
Les chartes des parcs sont chargées de « prévenir toute atteinte aux espèces animales et végétales et aux habitats ». La pêche y est donc autorisée, moyennant des restrictions pour éviter les impacts sur les milieux. Même si les règles sont spécifiques à chaque parc, voire à chaque contexte, on retrouve souvent des restrictions concernant les appâts naturels. Dans la Vanoise, la pêche à la sauterelle est prohibée, puisque la cueillette n’est pas autorisée. La pêche au vairon est interdite dans les lacs et torrents de Vanoise et dans les lacs du Mercantour. Pour les lacs des Écrins et des Pyrénées, il doit être pêché sur place. Tout cela pour éviter son introduction, néfaste aux écosystèmes. Le no-kill n’est, en revanche, pas retenu dans l’immense majorité des cas. C’est logique puisque la pratique halieutique dans ces espaces était originellement associée au prélèvement.
Changement de paradigme ?
Il apparaît toutefois que ces possibilités halieutiques ont tendance à se restreindre avec le temps. À la création du parc de la Vanoise, aucune restriction n’existait en matière d’alevinage. Ce n’est plus le cas soixante ans plus tard. De même, sur le Mercantour, la surface halieutique non alevinée est passée de 29 % en 2013 à 44 % en 2024. Même dans les Pyrénées, où la permissivité est plus grande, en lien avec un très fort attachement des pratiquants et des élus locaux à la pêche en montagne, la tendance s’amorce. Glisserait-on donc lentement et sûrement vers une éradication de la pêche dans les zones centrales des parcs de montagne sous le poids des lobbies écologiques et des évolutions sociétales ? La volonté de retour à une situation naturelle « initiale » l’emporte-t-elle peu à peu sur le maintien des pratiques anthropiques traditionnelles tels que le pastoralisme ou la pêche ? C’est ce que certains craignent au niveau des fédérations qui travaillent pourtant en collaboration étroite avec les gestionnaires des parcs. La vision des directeurs, qui ont autorité sur la réglementation des alevinages, n’est pour l’instant pas hostile à la pêche. Mais des pressions s’exercent de plus en plus sur eux : en interne, avec certains salariés qui ont une vision « radicale » de la politique environnementale, ou en externe, par le biais d’associations écologistes. Un dossier qu’il faudra donc suivre de près !